de Florian Zeller 2020
adaptation de sa pièce "le Père" jouée dès 2012
scénario Christopher Hampton et lui-même
musique Ludovico Einaudi et David Menke
avec Anthony Hopkins, Olivia Colman
Oscar du meilleur acteur et Oscar du meilleur scénario adapté
Alors qu’il vieillit et devient de moins en moins autonome, un père refuse l’aide de sa fille. Voyant la situation se dégrader, il commence à douter de ses proches, de son propre esprit et même de ce qui est réel.
Dès la séquence d’ouverture le spectateur est comme happé par la musique de Purcell (cold song du roi Arthur) qui « accompagne » une femme au pas résolu, la (le) mène jusqu’à un immeuble cossu et jusqu’à l’appartement où le « père » est affalé dans son fauteuil, un casque sur les oreilles ….écoutant cette musique…Musique qui abolit provisoirement les frontières. Frontières que délimite cet espace clos qu’est l’appartement avec son corridor, ses portes, ses fenêtres, sa cuisine, ses chambres, ses pièces, des tableaux, des photos, et dont les lumières varieront en fonction des moments de la journée mais aussi (et surtout) des souvenirs du père. Et nous entrons dans cet autre univers qui se superpose au premier, un espace mental labyrinthique celui de la mémoire celui des fantasmes, celui qui brouille les repères et où s’opère la confusion des sentiments. Portes, couloirs, lits, cadrés dans leur être là (un être là qui ira se rétrécissant) comme autant de repères d’ordre spatial certes, mais qui ont leurs équivalents ou leurs prolongements dans la cohérence des illogismes (deux battants de porte s’ouvrent sur un ailleurs inondé de lumière, les mêmes à un autre moment sur un simple cagibi ; de la fenêtre du salon Anthony regarde le trottoir (comme s’il se penchait sur son passé) et voici que surgit un gamin se dépêtrant avec un ballon/sac plastique ; est-ce l’enfant qu’il fut?
En optant pour une narration brisée – à l’instar des fractures que subit le personnage éponyme-, en adoptant le point de vue du père (le titre est à cet égard explicite) le réalisateur cherche à désorienter le spectateur (du moins au tout début), à lui faire éprouver de l’intérieur la défaite du sens , à lui rendre palpable la déraison. Pari original que de mettre ainsi en abyme la "folie". La répétition du même moment -le réveil -, des mêmes gestes -prise de médicaments-, mais traitée à chaque fois différemment, l’interprétation d’un même rôle par plusieurs acteurs ou de rôles différents par un seul acteur, tout cela "illustre" les troubles de la mémoire d’autant que le scénario lui-même entretient la confusion (des identités, des lieux, de la chronologie)
La récurrence de certains « motifs » (la montre, le poulet, le voyage à Paris, la fille Lucy) accentue le processus de dégradation du "father" (Je ne sais plus où reposer ma tête), alors que le désarroi des proches fait souvent abstraction de la parole : une larme perlant sur la joue de la fille, un regard comme hébété, un geste de tendresse et c’est la souffrance muette qui s’impose à l’écran
Une interprétation magistrale : Anthony Hopkins joue un personnage étonnamment "présent" (violence et tristesse, humour et amour, hargne et vulnérabilité) dans un contexte d’absence due à une dégénérescence cognitive et Olivia Colman celui tout en retenue de la fille aimante et désemparée, témoin impuissante de ce qui chancelle et se désagrège, inexorablement !
Un film à ne pas rater!
Colette Lallement-Duchoze