de Vladimir Kozlov (2019)
2020 : KFF - Krakowski Festiwal Filmowy - Cracovie (Pologne) - Compétition internationale long métrage
2020 : Festival International Jean Rouch - Voir autrement le monde - Paris (France) - Compétition internationale
Kounachir, à 14 km au nord des côtes du Japon, est l’une des deux îles principales de l’archipel des Kouriles, annexé par l’URSS en 1945. Un an plus tard, après une brève cohabitation, les 17 000 Japonais vivant sur ce territoire ont été massivement déportés. A ce jour, aucun accord de paix n’a été signé entre les deux pays…
En filmant l’île dans sa diversité -tant géographique qu’humaine- en donnant la parole à plusieurs habitants -chacun incarnant une « manière » de vivre ou de survivre sur l’île– le réalisateur offre l’image d’une micro société mais qui « parle de la société russe tout entière » avec ses contradictions ses folies sa politique des frontières
Il fait alterner les rencontres/interviews (nous allons suivre 6 habitants) les images sur l’île (rivage village plaine forêt volcan lac) en variant les points de vue, les angles, les « moments » -jour naissant ou crépusculaire, et les atmosphères -sérénité d'une chaude lumière, enveloppe brumeuse, nocturne étoilé. À cela s’ajoutent quelques photos d’archives (certaines au montage illustrent les propos de cet homme qui né en 1938 a été témoin de la déportation des Japonais ou qui évoque la bonne entente avant 1946 47, vante les prouesses technologiques d'une époque désormais révolue... )
En scrutant les paysages, l’environnement, la vie au quotidien la caméra peut s’arrêter sur des détails -mais sans ostentation ni souci de didactisme - les images parlent d’elles-mêmes. Voici sur une grève un bateau rouillé échoué et sur le sable se dessinent les sillons de ces mobs pétaradantes alors qu’une vache en plan rapproché dit la placidité ou l’éloquence du silence. Voici des chars recouverts de verdure, des blindés témoins de la seconde guerre mondiale. Deux compères la tête hors d’eau dans ce lac où l’on prend un bain de boue (roboratif à condition d’être régulièrement pratiqué affirme Micha). Une cabane en bois que l’on construit dans un arbre, dans cette forêt qui abrite une vie inaltérée « l’être humain se contente de peu »affirme cet homme amoureux de ses chiens aux prénoms chargés de sens (Fram, voyage Trump, roux, Knut en hommage à Knut Hamsun). Une femme dans un minuscule cimetière d’un geste simple et précautionneux à la fois, arrose les fleurs sur la tombe de son mari, célébrant la Vie par-delà la mort. Par écran interposé le responsable politique local se plaît à brosser l’historique de l’île, fier de la victoire de son pays l’ex URSS (plus tard nous l’entendrons revendiquer le bien fondé de la politique étrangère russe) ; afin d’éduquer les jeunes (critère dit pédagogique) on se plaît à « reconstituer » la grande scène historique de la capitulation des Japonais ….en 1945; le même est convaincu qu'un musée à ciel ouvert apprendra aux jeunes l'histoire de l'armement...
Or ces êtres humains ressemblent étrangement aux personnages du théâtre beckettien (un gros plan sur une pancarte « maison des fous ») attendant leur Godot (hormis le responsable politique droit dans ses bottes qui revendique l’application à la lettre du traité de 1945 -promesse orale faite par le président américain à Staline s’il entrait en guerre contre le Japon.)
Explorer creuser le sol c’était une des scènes d’ouverture. Et l’on découvre avec cet homme au torse nu, des tessons, témoins lambeaux de l’art japonais, à jamais disparu ? Et partant, d’un art de vivre, d’une civilisation ?. Explorer creuser : n'est-ce pas la démarche de Vladimir Kozlov? (réalisateur français d'origine russe)
Pépiements, piaillements, croassements, aboiements, ressacs : telle sera la bande-son de ce plan final, où la mer toujours recommencée a revêtu son habit de nuit…
Un documentaire que je vous recommande vivement!!
.Colette Lallement-Duchoze