Film soutenu par Tënk et Mediapart
https://www.mediapart.fr/studio/documentaires/international/grano-amaro-peut-ignorer-l-heritage-de-mussolini
En suivant jour après jour la campagne électorale des élections municipales (2019) de Predappio, ville natale de Mussolini, Grano Amaro raconte le parcours de deux candidats amateurs dans une élection dont l’enjeu les dépasse.
Très vite, la campagne est phagocytée par la grande question de l’héritage mussolinien : que faire de la tombe du dictateur ? Le film retrace le combat pour la mairie qui, administrée par la gauche depuis 1945, risque de tomber aux mains de l’extrême droite.
La séquence d’ouverture nous introduit dans une "minoterie". Voici un homme dont les gestes rapides et précis -dosage, emplissage et fermeture des sacs de farine- sont filmés en gros plan. C’est Roberto Canali. Il est candidat aux élections municipales, sur la liste « unis pour Predappio » soutenue par la ligue d’extrême droite. Face à lui Gianni – successeur de Giorgio (cf la photo ci-dessus) qui, après deux mandats, ne peut plus se présenter.
Le documentaire par un montage alterné (et/ou parallèle) donne à voir successivement les deux candidats : sur leur lieu de travail, dans leur QG de campagne, leurs réunions, leurs meetings, etc.. mais aussi comme ce sont des " enfants" de Predappio, on les verra à la même table jouer aux cartes par exemple. Une personne interrogée n'avoue-t-elle pas? Je les connais et je les aime bien tous les deux
Les réalisateurs ponctuent la chronologie -soit les différentes étapes de la campagne jusqu’au dépouillement, et la gueule de bois le lendemain pour les perdants...-, par des vues en plongée sur la place de l’église, la piazza Sant’Antonio, des plans en frontal sur le palazzo Varano, par des panoramiques sur la campagne environnante (nous sommes en Emilie Romagne sur les premières collines de l’Apennin nord) – comme une métonymie (ou un gage?) de la pérennité- ou encore par des jeux "apparents" de contrastes - entre la fixité du buste en bronze de Mussolini (Predappio est sa ville natale, il y a une crypte Mussolini qui attire de nombreux touristes ) et le frémissement des herbes, par exemple. Or ces herbes frémissantes sont annonciatrices de moisson ….. Le blé sera-t-il amer?
La tombe du dictateur doit-elle être gérée comme une attraction touristique ou comme une opportunité pour affronter historiquement et culturellement la période fasciste ? Si la question du tourisme est posée par les deux candidats (quand bien même elle les dépasse,- ils ne sont pas versés dans les arcanes ni les roublardises de la "politique" au grand dam du maire sortant) c’est que la "présence" de Mussolini souligne en creux la prégnance du fascisme en Italie au XXI° siècle ; et les résultats vont donner raison au parti fort à l’aise avec les morts. Ombres tutélaires pour les uns, ombres encombrantes pour les autres…
L’inauguration de l’expo consacrée à Donna Rachele Mussolini -sous la tutelle du nouveau maire- en témoigne aisément ainsi que le discours de la curatrice qui cite Mussolini avec l’aisance de la connivence..
Or le 28 octobre 1944 , Predappio, commune antifasciste, était libérée ! Commémorer ! Célébrer ! Perpétuer dans la fête le rite de la libération ? C’est précisément le thème de la dernière séquence de ce documentaire ….
Grano amaro ( blé amer) : clin d’oeil pour le titre au film de Giuseppe de Santis ? « Vague » de consensus en faveur de la ligue de Salvini ? Défaite historique de la gauche ?
Grano amaro Un documentaire qui ausculte de l'intérieur un basculement tant historique que symbolique
Colette Lallement-Duchoze