Documentaire réalisé par Hubert Sauper (2017) USA France Autriche
Le cinéaste Hubert Sauper — réalisateur de Nous venons en amis et du Cauchemar de Darwin, nommé aux Oscars — a réalisé Epicentro, portrait immersif et métaphorique de Cuba, utopiste et postcolonial, où résonne encore l’explosion de l’USS Maine en 1898. Ce Big Bang a mis fin à la domination coloniale espagnole sur le continent américain et inauguré l’ère de l’Empire américain. Au même endroit et au même moment est né un puissant outil de conquête : le cinéma de propagande. Dans Epicentro, Hubert Sauper explore un siècle d’interventionnisme et de fabrication de mythes avec le peuple extraordinaire de La Havane — en particulier ses enfants, qu’il appelle “ les jeunes prophètes ” — pour interroger le temps, l’impérialisme et le cinéma lui-même.
Des vagues puissantes s’en viennent percuter le Malecon (la jetée) à La Havane ; le visage d’un Cubain fumant le cigare se détache comme en médaillon : c’est la scène inaugurale. À la fin d’Epicentro le même homme, des vagues identiques, mais leur puissance est telle que l’eau a pénétré dans les maisons et les enfants (ces jeunes prophètes que nous avons côtoyés dans la seconde partie) glissent chutent surfent sur l’élément liquide, devenu partie intégrante de leur univers. Dans la Joie l’Allégresse .! .On va gloser sur l’intensité des vagues : symbole d’une catastrophe ou métaphore d’une situation qui aurait empiré sur l’île ? .. J’en doute...
Epicentro : le titre du « documentaire » (à ce terme générique qui renvoie à documents protocole vérité supérieure Hubert Sauper préfère l’expression anglo-saxonne non fiction cinema) n’est pas anodin. Cuba serait le point de la surface terrestre où un séisme a été le plus intense. De quel « séisme » s’agit-il ? Le réalisateur (voix off) explique qu’en 1898 les Etats Unis ont pris prétexte de l’explosion de l’USS Maine pour mettre fin à la domination espagnole sur l’île et inaugurer une nouvelle ère celle de leur impérialisme (qui prévaut encore à l’échelle planétaire) ...et simultanément c’est l’invention du cinéma qu’Hollywood va « utiliser comme outil de propagande »
Là est sans conteste l’originalité d’Epicentro ; et la mise en parallèle de phénomènes concomitants ira de pair avec un double questionnement (qui sera le fil conducteur du film) sur la toute puissance américaine et la toute puissance de l’image (cf les images truquées de l’explosion de l’USS Maine…)
Images d’archives (guerre hispano américaine Roosevelt funérailles de Castro) et plongée en « immersion » dans le Cuba d’aujourd’hui (venelles et avenues, odeurs et musiques, déconstruction et reconstruction, fugacité et permanence, luxe et misère ) Nos guides ? Ces enfants incroyablement matures (même s’ils répètent les slogans du castrisme) qui promènent un regard à la fois circonspect et désabusé sur les « touristes » (le plan où un immense navire de croisière pénètre dans le port de La Havane est presque terrifiant : vorace, le vaisseau semble engloutir la capitale; alors que la visite de la ville en voiture américaine décapotable ridiculise les visiteurs hurlant leur joie! Et que dire de ces photographes amateurs si fiers de leurs clichés ( confondant les époques, usant abusant de ce voyeurisme primaire).
Léonelis se « bat » avec sa mère, un vrai pugilat ! (propos outranciers venimeux, gifles qui claquent). Mais on va découvrir qu’il s’agit d’une scène jouée -entre Léonelis qui rêve d’être actrice et Oona Chaplin qui a proposé une engueulade comme scène d’improvisation- et Hubert Sauper filme tel un reporter captant ce « qui se passe » ».
Tel le spectateur d'un jeu entre le vrai et le faux !
Ou quand la « réalité jouée devient réelle »
Un documentaire qui met en exergue une double manipulation,
un documentaire à la déambulation ludique
un documentaire à ne pas rater !!
Colette Lallement-Duchoze