De Michal Hogenauer (République tchèque/Lettonie/Pays-Bas) 2019
avec Eliska Krenkova (Mia) Roeland Fernhout (le père) Monic Hendrickx (la mère) Jacob Jutte (Sebastian)
Présenté en sélection officielle au festival A l'Est (Rouen du 3 au 8 mars 2020), ce film (Tiché doteky - titre original) a obtenu le prix de la mise en scène au festival d'Aubagne (30 mars - 4 avril 2020)
Une jeune fille au pair, d'origine tchèque, débarque dans une famille étrange du nord de l'Europe. Fascinée, elle participe à une opération aussi mystérieuse que malsaine dont elle ne prend vraiment conscience que lors de son interrogatoire par la police
Le film s’ouvre sur un long plan fixe : un bateau et ses nombreuses voitures aux lumières clignotantes alors qu’envahissante, retentit la musique de leurs sirènes. Un concert qui déchire la nuit telle une alarme ? Alarme destinée à la jeune fille qui à bord de ce bateau s’en va vers un ailleurs ...insoupçonné… ? (Une interprétation que nous formulerons rétrospectivement quand le Silence aura imposé ses lois ).
Nous suivons dans cette séquence d’ouverture la jeune fille jusqu’à l’intérieur d’une villa cossue. Elle y sera fille au pair. Et c’est son point de vue qui nous guidera tout au long de ce film
Une villa somptueuse certes mais aux décors si froids -couleurs et mobilier- à l’ambiance si aseptisée que s’installe une forme de malaise. Impression qui se double de suspicion dès la séquence suivante : la jeune fille vue de face filmée en frontal répond à un interrogatoire (police?); nous n’entendrons pas ses réponses ; elles sont relayées par leur mise en images comme autant de flash-back et les rares réponses qui nous parviennent - destinées aux interrogateurs- sont en flagrante opposition avec la réalité vécue (surtout en ce qui concerne les sévices…infligés à l’enfant). Opposition qui rend compte d'un dilemme, et qui illustre une sorte de dislocation intérieure..
Le film entier est construit sur ce va-et-vient entre dualité échange fusion, passé proche-présent, réalité-mensonge. Un exercice narratif fort habile et qui va mettre en évidence la lente descente aux enfers de Mia, depuis l'obéissance polie initiale (relation employeur/employé) jusqu'à l'anéantissement de toute barrière morale, en passant par des phases de doutes et de remise en question. Tout cela a commencé par la perte d'identité: Michaela dite Misha sera Mia : ainsi en a décidé le couple dans un énoncé plein de componction. Couple d'ailleurs sans identité propre, réduit à une fonction (le père, la mère)
La relation dominant/dominé prévaut dans ce système d'éducation où la moindre velléité d'émotion, d'empathie est sévèrement réprimée, punie. C'est pour le bien de l'enfant; précepte sacro-saint partagé par tous les habitants de ce quartier bourgeois où les enfants "robotisés" sont chaque matin pris en charge (bus de ramassage n° 12853) pour se rendre dans une école "spécialisée" .
Dystopie? Il faudra attendre le générique de fin pour ....la réponse...
La mise en scène participe elle aussi de/à cet étrange malaise. Le cinéaste privilégie les plans fixes, construits comme des tableaux, il juxtapose souvent des séquences statiques en évitant les jeux de caméra, tout en faisant alterner plans larges et rapprochés, il joue avec les effets de miroir (au sens propre car plusieurs scènes ont pour décor la salle de bains que partagent Mia et Sebastian) ; les parents/éducateurs déambulent avec lenteur et raideur, et le déploiement d'une journée est ponctué par des "rites" . La séquence où le père en "officiant" préside une "messe" -on remet un "prix" à ...Mia...- cérémonie à laquelle sont conviés tous les voisins, des participants figés déshumanisés, en dit long sur les ravages de l'endoctrinement!!!
Sobriété et froideur : un choix judicieux pour exprimer (et faire partager) le malaise que suscite inévitablement l'analyse clinique du Mal !!!
Colette Lallement-Duchoze