De Robert Eggers (USA)
Avec Robert Pattinson, Willem Dafoe, V Karaman
prix Fipresci à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes
prix du jury au Festival de Deauville,
L'histoire hypnotique et hallucinatoire de deux gardiens de phare sur une île mystérieuse et reculée de Nouvelle-Angleterre dans les années 1890.
Rien de bon ne peut arriver quand deux hommes sont isolés dans un phallus géant.
Puissant organique, ce film en noir et blanc -au format carré- est un véritable joyau cinématographique tant l’adéquation est parfaite entre le fond et la forme
Sur une image au blanc délavé (telle une eau-forte) clignote au loin une lumière et se dessinent les contours d’une île ; c’est alors que la bande son tonitruante et stridente (signée Mark Korven) épouse le mouvement de l’étrave qui fend puissamment les flots ; deux personnages (plan américain et fixe) deux silhouettes surgissent d’un film ….expressionniste : c’est le début de Lighthouse. Une corne de brume nous accueille ! Dès ces premiers plans alors que le bateau n’a pas encore accosté sur l’île, le réalisateur a su créer une atmosphère qui emprisonnera le spectateur. Nous sommes embarqués ( sur le Styx ?)
Nous allons partager la cohabitation (forcée) des deux gardiens de phare et leur relation à la fois hiérarchique (l'un est dominé l'autre dominant) et dyadique (l'un "est" l'autre). Une relation aux formes surannées : le plus âgé Thomas Wake (admirable Willem Dafoe) ressemble étrangement à Achab quand il n'endosse pas les habits de la mythologie grecque (Zeus, Triton); le second Ephraïm Winslow (formidable Robert Pattinson) d'abord soumis, accomplit les tâches subalternes, victime de quolibets et d'humiliations, avant de se révolter et de tuer "métaphoriquement" (?) l'autre (son double?). Il "répond" favorablement à l'appel de la Sirène... et une courte scène (fantasmée) le montrera en Prométhée (éviscéré par la mouette...)
Le souffle du vent en rafales, la mer démontée qui envahit l’écran, la bande son puissante et souvent dissonante, la corne de brume, sont comme le prolongement ou la métaphore des sentiments éprouvés ; et les chemins empruntés pour l’accomplissement des tâches, le puits, les excréments, la présence d’une mouette borgne, le pan de mur qui irradie de blanc, les escaliers intérieurs, le puits de lumière inaccessible (pour le subordonné…) se muent en une géographie intérieure d’autant que l’on va basculer dans la folie, et que les barrières entre réel et imaginé, entre vécu et fantasmé, se délitent, s’abolissent
Le réalisme le plus cru (uriner, vomir, se masturber, renifler, péter) côtoie ou épouse le poétique (dont témoignent les phrases récitées en leitmotive). Les archétypes masculins (le phare phallus, les serrures de porte en forme de vagin) sont volontairement mis à mal et les questionnements resteront en suspens, Dieu serait-il un phare et la mort une île ? alors que la tempête représente bien la folie dans ce film de possession et de dépossession, d’explorations et d’interprétations, d’appropriations des pensées, gestes et comportements de l'autre...à coup de légendes maritimes et de cauchemars, où l’amour se mue en haine farouche, où le désir sexuel ne peut se concrétiser que dans et par le fantasme.
Un film halluciné et hallucinant servi par deux acteurs excellents
Un film iconoclaste à ne pas rater !!
Colette Lallement-Duchoze