De Damien Manivel
avec Agathe Bonitzer, Marion Carpentier, Marika Rizzi, Elsa Wolliaston
Prix de la mise en scène au festival de Locarno
Après la mort de ses deux enfants en avril 1913, la danseuse mythique Isadora Duncan a composé un solo intitulé La mère. Dans un geste d’une grande douceur, une mère y caresse et berce une dernière fois son enfant avant de le laisser partir. Un siècle plus tard, quatre femmes font la rencontre de cette danse.
Un geste !
"Quelle lenteur ! Tout à coup"
Un geste qu’ Agathe Bonitzer tente de déchiffrer (labanotation, système d’écriture pour le mouvement, comme le signale le générique de fin) avant de se l’approprier, puis que la danseuse italienne apprend à son élève, avant qu’une spectatrice (Elsa Wolliaston ex danseuse) ne le décline après l’avoir intériorisé
Un geste qui relierait des chaînes d’or d’étoile à étoile (Rimbaud), dans un ballet synchronisé où les ligaments de la mémoire épousent ceux des corps. Ceux précisément des 4 femmes du film (film composé de trois tableaux qu’une chronologie précise inscrit dans le temps, mais un temps comme hors du temps car les dates mentionnées concernent tout autant l’année de la création de Mother en 1923 (sur une musique d'Alexandre Scriabine) que d’autres années du XX° et en l’occurrence du XXI° siècle
Remonter vers ce qui tisse le processus du geste : ce fut la démarche de Laban ; c’est celle de l’ex-danseur et réalisateur Damien Manivel, celle d’Agathe (premier tableau). Assise dans un bar elle lit la biographie (ma vie) d’Isadora (lèvres fermées œil à l’écoute voix off) puis d’un pas allègre arpente les rues sans autre pensée que l’œuvre -le solo- à décrypter et à interpréter avant que ...le corps déployé dans la respiration de CE geste, ne l’exhausse en caresse. Caresse que la jeune danseuse trisomique intègre à une corporéité (et la thématique de la perte de l'enfant se double ici de celle du handicap). Ce deuxième tableau est le seul "dialogué": parole explicative dans l'élaboration et la transmission du geste, celui de l'ultime caresse d'une mère à son enfant. Répétitions. Et le spectacle nous le "verrons" à travers le visage et les yeux embués d'Elsa Wolliaston dont la stature majestueuse dans son gigantisme donne sens à l'émotion. La caméra (troisième tableau) suit cette femme depuis le théâtre jusqu'à son appartement : lente déambulation martelée par le bruit de la canne; lenteur des gestes pour revêtir l'habit de nuit; au spectateur de remplir les silences -un plan furtif sur la photo de son fils crée un effet spéculaire : une même émotion par-delà les âges? Silence habité désormais par "les enfants d'Isadora"
Et c'est sur cette main, un geste suspendu à la fois dans l'espace et le temps que se clôt ce film qui à l'instar de Mother a "transformé le terrible accident en beauté", une beauté dotée d'une rare émotion (la danse est intérieure aussi à la rencontre de "l'invraisemblable et de l'espéré")
Un film à ne pas rater
Colette Lallement-Duchoze