De Rodd Rathjen (Cambodge Thaïlande)
avec Sarm Heng, Thanawut Kasro, M. Ros
Musique de Lawrence English
Primé au festival du film politique de Porto Vecchio
Chakra un Cambodgien de 14 ans , étouffant dans la rizière où il travaille avec sa famille, aspire à un autre horizon : un boulot mieux payé dans une usine en Thaïlande. Mais il ne verra jamais ce singulier eldorado. Piégé par son passeur, il est vendu comme esclave à un capitaine de chalutier.
Est-ce la nuit qui se déchire ? Sur une mer "toujours recommencée"
A-t-on encore le droit de parler d’humaine condition quand des hommes non seulement exploitent leurs congénères mais les traitent comme des animaux en exerçant sur eux leur pouvoir de vie et de mort….en les tétanisant dans leur servitude, leur état de totale dépendance
S’appuyant sur des faits authentiques le réalisateur australien s’attaque -et frontalement- à l’esclavage dans l’industrie de la pêche thaïlandaise. À travers le parcours du jeune Chakra (se sentant exploité dans la rizière familiale au Cambodge il aspire à un travail mieux rémunéré dans une usine en Thaïlande ...mais…il sera vendu comme esclave à un capitaine de chalutier.!) il donne ainsi la parole à ces milliers d’anonymes, victimes du trafic d’êtres humains, originaires de Birmanie et du Cambodge, à tous ceux que l’Histoire feint d’ignorer, à tous ceux qui souffrent en silence et qui traversent l’enfer pour un avenir meilleur (ce que dira explicitement le générique de fin)
La longue séquence qui sert d’ouverture illustre par petites touches le "rêve" de liberté du jeune Chakra ; rêve que l’essentiel du film va anéantir avec une progression -savamment dosée- où l’âpreté du récit se marie à une mise en scène dépouillée
Dans le huis clos à ciel ouvert sur le chalutier, le regard se substitue souvent à la parole, les rapports dominant-dominé progressent jusqu’à la mort, et le réalisateur fait alterner les scènes de cale - où la reptation des esclaves regagnant leur "paillasse" de fortune agglutinés dans un espace exigu rappelle celle inhérente à leur servitude - et les scènes de pont -avec la répétition des mêmes gestes quelles que soient les conditions météo sous l’oeil tyrannique du "maître" ce timonier infâme, ou sous la férule de ses sbires qui n’hésitent à jeter à la mer les plus faibles -On racle les eaux pour en tirer menus poissons et crustacés qui finiront en nourriture pour chiens et chats d’Europe et d’Amérique. De même Rodd Rathjen fait alterner la "vie" sur le chalutier et l’écran large des flots ou des abysses (symboliquement l’alternance devient opposition entre l’enfer vécu à bord une prison flottante et la beauté naturelle des lieux)
La violence de certaines séquences -à la limite du supportable – ne doit aucunement masquer la violence bien réelle d’un commerce abominable méconnu du public occidental habitué aux clichés version "carte postale" sur la Thaïlande
Chakra le plus résistant parviendra à se dominer (et l’on devine dans son regard une rumination vengeresse); à la fin d’un parcours qui l’aura conduit en enfer- il sera encore plus impitoyable que ses bourreaux….Est-ce le prix à payer pour la liberté ? le titre " freedom" est-il antiphrastique ironique? Devenir un monstre pour survivre aux autres monstres ? Le réalisateur ne juge pas …
Un film coup de poing
A voir!
Colette Lallement-Duchoze