de Céline Sciamma (France)
avec Noémie Merlant, Adèle Haenel, Valeria Golino,
Prix du Scénario (Cannes 2019)
1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d'Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d'épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d'elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.
Voici un microcosme féminin à l’intérieur d’un château. Mais l’homme bien qu’absent à l’écran n’en reste pas moins présent par son oppression: n’est-ce pas un gentilhomme milanais qui exige le portrait de sa promise ?? C’est l’homme commanditaire. Homme invisible aussi mais responsable de grossesse et d'avortement - dont celui pratiqué sur Sophie la servante et auquel le spectateur est convié dans une scène à mi-chemin entre le tragique et le naturalisme…
Et dans ce microcosme, une circulation de regards : - les plus évidents ceux que le peintre pose sur son modèle, ceux du modèle qui scrute le visage du créateur. Regardeur regardé. Alors que le film s’interroge sur le geste créateur (et si l’étincelle créatrice était liée à un fantasme ? à une réelle apparition ? Celle qui aurait traversé le temps l’espace ou l’au-delà pour s’incarner dans une passion aussi déroutante qu’interdite ? Ce que rappelle le texte d’Ovide -dont Héloïse lit quelques extraits sur la quête d’Orphée aux Enfers à la recherche de son Eurydice; la réponse de Marianne est sans appel (si Orphée s’est retourné ce n’est pas le choix de l’amoureux, c’est le choix du poète.
Le portrait d'Héloïse aura été ébauché, saboté, brûlé, abandonné, repris ...
La réalisatrice semble soigner les intérieurs éclairés à la bougie ou illuminés par les flammes d’un feu de cheminée. Et pourtant que d’erreurs dans le traitement des clairs-obscurs -à moins qu’elles ne soient volontaires ; -une esthétique vaporeuse pour illustrer l’étrangeté ? (dès le générique quelques traits au fusain et le crissement sur la toile vierge alors que la main qui les guide est celle des étudiantes de Marianne ….Elle-même commencera le portrait d’Héloïse de façon similaire...Ou encore cette lueur dans la torpeur de tourments liés à la fois à l’acte créateur et à l’amour naissant ?: et voici un halo diaphane ou serait-ce le spectre d’Héloïse /Eurydice ?
En revanche quand la réalisatrice filme les deux femmes amoureuses qui ont délaissé les drapés de leurs robes pour ceux du lit, qui ont renoncé à tout ce qui les corsetait pour laisser s’exprimer leur chair même avec pudeur, chaque plan choisi correspond au désir de composer un tableau immobile ou en mouvement. De même les scènes en extérieur -filmées en Bretagne- frappent par une composition qui rappelle un tableau : une répartition selon la règle d’or, une présence humaine qui s’intègre aux éléments naturels ou les domine
L’interprétation habitée des deux actrices, Adèle Haenel (rappelons que la réalisatrice a écrit le rôle d’Héloïse pour elle !.) et Noémie Merlant (vue récemment dans Drapeaux de papier et surtout dans Curiosa en maîtresse de Pierre Louÿs) joue -c’est une évidence- sur la puissance émotionnelle du récit quand bien même leur jeu -direction d’acteur exige- impose la distanciation
Un film qui peut tout autant séduire que décevoir ! (symbolisme récurrent de l'eau et du feu trop appuyé)
Habiter ou ennuyer ! (lenteur initiale immodérée, plans fixes prolongés..)
Colette Lallement-Duchoze