de Phuttiphong Aroonpheng (Thaïlande 2018)
avec Wanlop Rungkumjad, Aphisit Hama, Rasmee Wayrana
Sacré meilleur film de la section Orizzonti à la Mostra 2018,
Près d’une côte où des réfugiés Rohingyas ont été retrouvés noyés, un jeune pêcheur thaïlandais trouve en pleine forêt un homme blessé et inconscient. Il lui porte secours et le soigne. L’étranger se révèle être muet. Il le nomme Thongchai et lui offre son amitié. Un jour, le pêcheur disparaît mystérieusement. Thongchai va peu à peu prendre sa place...
Fable politique ? (dès le générique on apprend que le film est dédié aux Rohingyas). Conte fantastique et poétique? (ne serait-ce que par la présence récurrente de ces fines pierres au scintillement magique, par la permanente ambiguïté des éléments -forêts, eau, pierres lumineuses- et des êtres -le pêcheur à la fois samaritain et braqueur encagoulé- et par l’intrigue délibérément sibylline) le film de Phuttiphong Aroonpheg est certes tout cela à la fois. Il intrigue il déroute il captive il envoûte !
Une explosion sensorielle qu’illustre la bande-son confiée aux Strasbourgeois de Snowdrops (ondes Martenot)
Dès la séquence d’ouverture on pénètre dans le labyrinthe d’une forêt qui n’est pas sans rappeler la jungle de Apichatpong Weerasethakul (rappelez-vous Tropical Malady et Oncle Boonmee la palme d’Or en 2010)
Et dès le début on devine à travers l’ombre et la lumière (le film joue constamment sur cette simultanéité discordante) la thématique de l’altérité que le cinéaste va transformer en identité acceptée par des glissements progressifs et la circularité de son propos (le rescapé prend la place du pêcheur quand ce dernier a disparu ; mais à son « retour » -réel?fantasmé ? ou antérieur au présent?- ce « sauveur » ressemblera étrangement à Thongchai…)
Abolition de la frontière ; acceptation de l’autre (le mutisme de Thongchai symbolise un état de fait : les Rohingyas n’ont pas le droit à la parole...Or, vers la fin du film le réalisateur fera entendre leur « chant parlé » alors que sous l’humus croupissent leurs cadavres….)
Et voici que danse légère et translucide une raie manta.
C’est le dernier plan de ce film hermétique certes mais ô combien envoûtant !
(Mais il pourra énerver certains spectateurs, agacés par trop de joliesse photographique et/ou par les guirlandes d’ampoules….)
Colette Lallement-Duchoze