De Youri Bykov (Russie)
avec Denis Shvedov, Vladislav Abashin , Andrey Smolyakov
festival de Beaune 2019
Réagissant à la vente frauduleuse de leur usine, plusieurs ouvriers décident d'enlever l'oligarque propriétaire des lieux. Ils sont menés par 'Le Gris', un ancien des forces armées. L'enlèvement tourne à la prise d'otage, et, rapidement, la garde personnelle du patron encercle les lieux.
Youri Bykov (Le major, l'Idiot) vilipende avec un certain brio la corruption qui gangrène la société russe, la répartition très inégalitaire des richesses, l'engluement dans le fatalisme. Thèmes qui sont au coeur de Factory, un film qui mêle polar et drame social, avec unité de lieu de temps et d'action
Le lieu c'est l'usine (factory). D'abord vue de loin fantomatique dans le brouillard glacial du matin alors qu'Alexeï dit Le Gris se rend à pied seul vers ce lieu de travail (en écho dans le dernier plan c'est le mercenaire Fog qui désabusé fera le chemin en sens inverse...). Puis avec Le Gris nous pénétrons dans le ventre de ce monstre métallique. Et le temps d'une nuit (après que la patron a décidé de la fermeture et que quelques ouvriers sous la houlette du Gris ont procédé à son enlèvement) l'usine devient le siège d'une bataille. Bataille autant idéologique qu'à balles réelles; c'est l'unité d'action: séquestration, demande de rançon, rebondissements avec changements de stratégie
C'est bien la rage qui habite le Gris (admirable Denis Shvedov dont nous avions apprécié le talent dans Le Major) avec cet oeil d'acier qui fixe la machine-outil, cette force herculéenne, une maîtrise des mécanismes retors de la pensée dominante qui l'empêche de tomber dans le piège, lui, Le Borgne, le rescapé de la guerre, porte avec sincérité tout le poids du malaise social dans le face-à-face l'opposant aux adversaires de "classe" (et à certains de son clan, les traîtres en puissance ou les "lâches").
La critique virulente de Bykov épouse son scénario (ou l'inverse) : qui a l'audace de remettre en cause le statut des possédants sera pris dans un étau mortifère!!
Hélas des moments inspirés et haletants côtoient trop de ressassements (dans les discours entre l'ouvrier qui cogite et l'oligarque ou le patron de la milice) un sur-jeu quasi permanent, de sorte que la "maîtrise formelle" incontestable se perd dans une forme de théâtralité (à un moment qui se veut suprême le décor de l'usine constellé de coups de feu se mue en un vaste écran "d'opéra"); et le discours politique (idéologique) trop appuyé a parfois des allures de "virilisme"
Cela étant, Factory n'en reste pas moins un film audacieux que je vous recommande
Colette Lallement-Duchoze