de Agnieszka Smoczynska Pologne
avec Gabriela Muskala, Lukasz Simlat
présenté au festival de Cannes 2018 (Semaine de la critique)
Alicja a perdu la mémoire et ignore comment elle en est arrivée là. En deux années, elle parvient à se reconstruire et ne souhaite plus se remémorer le passé. Quand sa famille la retrouve enfin, elle est contrainte d’endosser les rôles de mère, de femme et de fille auprès de parfaits inconnus. Comment réapprendre à aimer ceux que l’on a oubliés.
Ne vous fiez pas au titre (ou préférez la connotation musicale aux dénotations d’ordre clinique) Ne vous fiez pas à ce pitch "portrait d’une femme amnésique en quête d’identité" .Film de femme, film éminemment féministe Fugue est bien plus subversif ne serait-ce que par sa remise en cause du statut imposé à la femme en tant que fille, mère et épouse (certes à travers le portrait d’une amnésique mais qui en cherchant à se souvenir tente de se débarrasser de ce carcan et opte pour la liberté au grand dam de ses proches)
Un double questionnement : pour Alijca/Kinga Stowik qui étais-je, qui suis-je ; pour la famille mais qu’est-elle devenue ? Un avant pour l’une, un après pour les autres. La dualité est bien au coeur du dispositif narratif et cinématographique (à l’instar de cette conversation croisée au restaurant). Il y a un ici et un là-bas remarque Daniel l’enfant, ignorant à coup sûr les vérités latentes d’un tel constat. De même qu’il y a Alicja et Kinga, une blonde et une brune aux cheveux très courts (et Gabriela Muskala, qui a écrit les dialogues, interprète le rôle magistralement au point d’en être habitée)
Un film qui mêle récit clinique et thriller psychologique. Sur le plateau de télévision le psychiatre se gargarise dans son jargon de clinicien alors que la "patiente" est figée ; dans les intérieurs froids et glacés Alijca peine à trouver des repères ; sur la plage tout son corps est devenu affolement quand l’enfant disparaît à la fois de son champ de vision et de l’écran ; dans une reptation hébétée elle semble répéter les gestes post traumatiques. Et tout un travail sur la lumière, ainsi qu’une mise en scène épurée -avec cette prédilection pour de longs plans fixes comme à distance des personnages-, contribuent à éviter les pièges d’un psychodrame conventionnel sur l’amnésie, et illustrent la dialectique aliénation /émancipation
Les premières images semblaient encoder ce dispositif : un cafard sort de la bouche d’une femme et se glisse dans un trou (dessin animé d’un pré-générique quasi surréaliste) ; une femme titubante vue de dos dans un tunnel, avance sur des rails ; puis arrivée à une station, grimpe sur le quai et nonchalamment s’accroupit pour uriner au milieu de la foule ! c’est le début du film. Ellipse. Encart Deux ans plus tard…
Une résurrection ? (une séquence où le personnage émerge d’une tombe semble corroborer cette remarque)
Non mais la promesse d’une aube nouvelle !
A ne pas rater!
Colette Lallement-Duchoze