De Çağla Zencirci, Guillaume Giovanetti Turquie
Sibel, 25 ans, vit avec son père et sa sœur dans un village isolé des montagnes de la mer noire en Turquie. Sibel est muette mais communique grâce à la langue sifflée ancestrale de la région. Rejetée par les autres habitants, elle traque sans relâche un loup qui rôderait dans la forêt voisine, objet de fantasmes et de craintes des femmes du village. C’est là que sa route croise un fugitif. Blessé, menaçant et vulnérable, il pose, pour la première fois, un regard neuf sur elle.
Des visages scannés aux rayons x alors qu’ils sifflent c’est le premier plan du film. Puis un énorme plan sur les yeux vert profond du personnage éponyme ; le plan s’élargit….voici la jeune fille, fusil en bandoulière, à l’affût de.... Que traque-t-elle ? Le fameux loup censé rôder dans la forêt dont elle connaît le moindre recoin.
Le tuer, arborer sa proie en trophée, ce serait à coup sûr intégrer la communauté de femmes dont elle est exclue à cause de son handicap : elle est muette. Mais elle pratique la langue des oiseaux, cette langue sifflée où chaque note correspond à une syllabe de la langue turque.
Ainsi dès les premiers plans le spectateur devine que le film sera au carrefour du documentaire et du conte (la suite prouvera qu’il s’agit plutôt d’une fable politique)
Sibel, à la différence de sa sœur Fatma circule en toute liberté de la maison familiale (où elle accomplit toutes les tâches domestiques) à la forêt (où elle chasse le loup), de la maison de la « folle » Narin qui habitée par une foi inébranlée attend l’être aimé Fuat, aux champs de thé où, sans foulard, elle pratique la cueillette
Sibel est de tous les plans : confondue avec et dans l’épaisseur de la forêt dont elle est l’épousée, émergeant d’une fosse où elle a étalé des viscères comme appât, docilement assise à table auprès de son père (qui la chérit), coupant du bois pour Narin. La rencontre avec un fugitif qu’elle héberge dans sa cabane et soigne (mélange de salive et de plantes) sera vécue comme une épiphanie.
Et le Rocher de la Mariée jusque-là bastion inexpugnable de tous les mythes risque de s’ébranler.....
Réaliste et empreint de grâce, Sibel est un film sur une émancipation, sur l’effritement progressif de toute croyance en la tradition
Un film que je vous recommande vivement
Colette Lallement-Duchoze