de Natalya Merkulova, Aleksey Chupov (Russie)
Avec Evgeniy Tsyganov, Natalya Kudryashova, Yuriy Kuznetsov
Prix d'interprétation féminine, 75ème Mostra de Venise
Prix du meilleur film, du meilleur acteur et de la meilleure actrice au festival du cinéma russe d'Honfleur (novembre 2018)
Présenté en compétition au festival A L'Est de Rouen
Dans la Taïga sibérienne, Egor garde forestier est un bon père de famille et un bon mari respecté par ses concitoyens. Lui et sa femme Natalia attendent un deuxième enfant. Mais un jour il découvre qu’il est atteint d’un cancer incurable et qu’il ne lui reste plus que deux mois à vivre. Sans espoir de rémission, Egor va tenter de tromper la mort
Des images à la beauté plastique sidérante -qu’il s’agisse des éléments naturels (eau forêt) ou des intérieurs, une maîtrise de l’espace et du cadre ; un jeu d’alternance entre plans larges embrassant les extérieurs et plans serrés sur des visages, ou des groupes humains, des plans-séquences dilatés, des dialogues au compte-gouttes, oui, les réalisateurs imposent une écriture belle dans son exigence et sa plasticité. Et un sens du rythme qui scande leur dramaturgie.
Au début, une succession de « tableaux » permet au spectateur de « sympathiser » avec le personnage principal ; le voici en garde-forestier qui traque les braconniers (la scène inaugurale oppose la beauté du paysage et la cupidité des hommes) ; le voici dans l'intimité de sa famille, père, époux aimant. Le film bascule quand Egor (se sachant condamné) décide de changer d’identité. S’inspirant d’une légende sibérienne où le héros était parvenu à tromper la mort en changeant de sexe, il se travestit en femme. Désormais seul, rejeté par tous les siens, il trouve refuge dans la Nature ; mère nourricière, elle accueille ce corps tremblant de fatigue…elle devient un personnage à part entière
La colère vindicative des habitants du village -pour le moins homophobes-, leurs propos comminatoires se concrétisent dans des scènes de passage à tabac : à chaque fois Egor est seul contre tous ; être fragile et mutique, tabassé (jusqu’à être sodomisé) il n’est plus qu’une tache rouge (rouge de la robe et du sang) gisant sur l’humus ou les graviers.
La séquence de la toilette à l’intérieur de la cabane frappe par son traitement qui lui donne une dimension quasi religieuse et mythique -car elle ressemble à une toilette mortuaire. Chaque geste de Natalia est décomposé, la caresse sur la peau qu’elle savonne, rince est aussi celle de la caméra qui affleure avec délicatesse le corps blessé ; avant que le couple ne s’allonge sur ce lit de fortune. La seule musique est celle du silence complice
La réalisatrice présente lors de la projection dit s’être inspirée d’une légende, qu’elle a entendue en Sibérie. Et de fait son film mêle avec habileté, réalisme (parfois cru) et conte ; alors qu’importe la "suite" ...la fin du film reste "ouverte" à toutes les interprétations...
Un film qui tout en s’interrogeant sur la Mort, dénonce l’homophobie, le rejet de l’autre -quand il ne répond pas aux normes imposées par une société conservatrice et patriarcale
A ne pas rater lors de sa sortie en salle
Colette Lallement-Duchoze