De Ciro Guerra et Cristana Gallego (Colombie)
avec José Acosta, Carmina Martinez, Jhon Narvaez
Présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes
Récompenses :
Festival Biarritz Amérique latine 2018 : Abrazo d'or du meilleur film
Festival international du film d'Antalya 2018 : Prix du public
Présenté à Rouen dans le cadre du festival A L’Est (section A l’Est dans le monde )
Dans les années 1970, en Colombie, une famille d’indigènes Wayuu se retrouve au cœur de la vente florissante de marijuana à la jeunesse américaine. Quand l’honneur des familles tente de résister à l’avidité des hommes, la guerre des clans devient inévitable et met en péril leurs vies, leur culture et leurs traditions ancestrales. C’est la naissance des cartels de la drogue.
Inspiré de faits réels qui se sont déroulés entre 1960 et 1980, dit le générique.
Mais c’est à une tragédie à l’antique que le spectateur va assister. Le film est en effet découpé en 5 actes, avec une courbe ascendante -la prospérité- et descendante -la guerre- le dernier acte le plus court nous immerge dans la contrée des morts, les limbes. Un récitant joue au final, le rôle de coryphée ; sa silhouette se détache dans un décor sec et désertique alors que la jeune Indira vient de lui acheter trois chèvres et qu’elle s’éloigne, se confondant avec le paysage -celui de la pointe nord de la Colombie
Un film où s’opposent deux forces antagonistes : la tradition clanique et la modernité; et à l’intérieur des clans, des rivalités dues au commerce florissant de la marijuana et au non respect de codes ancestraux (pour ne pas dire millénaires)
Le film s’ouvre sur un rite de passage et une danse prénuptiale. La jeune fille Zaida a terminé son année d’isolement elle peut se marier ; sa mère (dépositaire de la tradition) lui prodigue les ultimes recommandations alors qu’une aînée examine son travail de tissage ; le prétendant Rapayet est adoubé par son oncle Peregrino. Couleurs chants danse croyances langue indigène le wayuu tout concourt à donner une dimension anthropologique qui va bien au-delà du simple folklore. La robe envahit l’écran de son tissu rouge comme si le personnage était magnifié ; la danse endiablée circulaire semble s’inscrire dans une tradition séculaire ! Il en ira de même quand on honorera les morts (rite des lamentations, compacité du groupe des pleureuses). Les signes divins méritent interprétation (on pense aux haruspices grecs) ; ils ponctuent la vie de ces ethnies; s'ils sont maléfiques, c'est que la transmission des valeurs a échoué!. L’honneur bafoué (l’intrépide Léonidas s’est comporté en malotrus envers la fille d’Anibal chef d’un clan rival) exige réparation. La guerre déclarée entre clans est à l’image de celle qui oppose les trafiquants.
C’était pour amasser l’argent nécessaire à la dot que Rapayet, aidé par son complice Moises, s’était adonné au trafic illicite de la marijuana. D’abord destiné aux touristes américains le petit commerce est devenu une véritable industrie et des cartels s’entre-tuent pour asseoir leur domination ! Hécatombes successives : les corps gisent à terre, le rouge du sang souille la blancheur du sol
La tragédie à laquelle nous venons d’assister a de ce fait la force d’un apologue!
Vastes étendues désertiques (Guajira), panache de poussière au passage des voitures en service commandé, ciel strié de vols d’oiseaux ou lacéré de lambeaux noirâtres, plans rapprochés sur un groupe vu en frontal ou sur des individus isolés, très gros plans sur un criquet, tout dans la façon de filmer associe la cinégénie des paysages et la photogénie des humains. L’assaut mortel sur une superbe villa en plein désert mêle habilement soleil de plomb et ambiance crépusculaire : ce sera d’ailleurs l’antichambre des limbes!
A ne pas rater!
Colette Lallement-Duchoze