d'Adina Pintilie (Roumanie)
avec Laura Benson, Tomas Lemarquis, Christian Bayerlein
Ours d'Or Festival de Berlin 2018 et prix du meilleur premier film
Entre réalité et fiction, Touch me not suit le parcours émotionnel de Laura, Tómas et Christian qui cherchent à apprivoiser leur intimité et leur sexualité. Si cette soif d’intimité – toucher et être touché, au sens propre comme au sens figuré – les attire autant qu’elle les effraie, leur désir de se libérer de vieux schémas est plus fort. Espace de réflexion et de transformation, Touch me not’ s’attache à comprendre comment vivre l’intimité de manière totalement inattendue et comment aimer l’autre sans se perdre soi-même.
La caméra caresse lentement un corps allongé et voici que le grain de la peau la pilosité la verge le téton en sont comme magnifiés ; c’est le plan d’ouverture ; le corps dans sa frémissante matérialité, le corps dans les replis de l’intime, le corps qui se minéralise se fige se rétracte ou explose de désir, le corps que l’on touche ou non.
À travers le parcours de trois personnages et leurs expériences assez singulières, nous allons suivre la réalisatrice - elle se met d’ailleurs en scène grâce à un système de plaques de verre sur la caméra – dans son exploration de tous les paradigmes liés à la sexualité, au genre, à l’intimité, à l’amour de soi et des autres. Le dispositif -film dans le film, mélange de fiction et réalité, de fantasmes, de rêves, journaux intimes sur vidéo, fusion d’éléments écrits et d’éléments réels, acteurs de métier et non-professionnels – est précisément au service de cette exploration
Voici Laura ; elle se rend chaque jour dans un centre hospitalier (assister un homme handicapé et comme inerte qui pourrait être un patient ou son père?) La porte qu’elle franchit à son retour (récurrence de cette scène où vue de dos elle peine à ouvrir les battants) est comme la barrière entre deux espaces d’enfermement, dont celui d’une prison intérieure Laura cherche en effet à dénouer ses blocages physiques….elle franchira la porte avec plus d’aisance...après les séances répétées auprès d’une trans et d’un « barbu hypnotique ». Assistant à un groupe de sophrologie elle observe un homme chauve (sublime Tomas Lemarquis interprète de Noi Albinoi film islandais prix du jury en 2003 au festival du cinéma nordique de Rouen) qui découvre lui-même le corps défait d’un patient. Est-il infirmier ? En tout cas il parvient à pénétrer -au cours d’une séance de relaxation mentale- la psyché de ce Christian, un "handicapé" atteint d’atrophie musculaire ; or ce dernier vit avec sa compagne Grit une relation sexuelle sinon débridée du moins très satisfaisante ; et "paradoxalement" c’est lui qui, dans ses discours et son comportement, sa façon d’appréhender le sexe l’intime est le moins "handicapé". Le film aborde ainsi la question de la beauté à travers des corps qui diffèrent des normes classiques (propos de la réalisatrice cf dépliant)
Adina Pintilie filme l’intérieur de l’établissement comme une peinture contemporaine où la blancheur a inondé le cadre, où les formes des corps revisités en s’appropriant l’espace, le chorégraphient.
Un film/docu à la qualité visuelle et esthétique indéniable mais qui peut décevoir -ne serait-ce que par la lourdeur du dispositif ou la surenchère dans cette volonté de tout dire et tout montrer -même si la pédagogie se veut élégante
à voir assurément
Colette Lallement-Duchoze