De Lars von Trier Danemark USA
avec Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman
présenté hors compétition au festival de Cannes
USA années 70/80 Jack, un tueur en série solitaire sévit dans l'état de Washington. Ingénieur perfectionniste il développe une véritable passion pour la mise en scène de ses assassinats. Maniaque il cherche à commettre le crime parfait tout en considérant chaque meurtre en soi comme une ouvre d'art....
On le sait : Lars von Trier a autant de zélateurs que de détracteurs. Ses films dérangent ? C’est tant mieux
Lors de la projection de The House That Jack Built présenté hors compétition à Cannes, beaucoup de spectateurs ont, paraît-il, quitté la salle (la séquence où Jack abat froidement deux enfants et achève leur mère leur était insupportable ; « dégoûtante » )
Même s’il emprunte à la littérature et à la mythologie et qu’il cite explicitement Dante et la Divine Comédie (l’épilogue a pour titre « catabase ») Même si Jack -tueur en série dont la pulsion créatrice prévaut à tout- est un double symbolique du réalisateur, et de Dante, il ne faut pas se tromper sur la notion d’Enfer : les images de l’épilogue renvoient au bouillonnement rouge - cette fournaise de l’imagerie traditionnelle ? Oui ; mais la vraie damnation est bien ici et maintenant « hic et nunc » Puisque tout est devenu simulacre, l’entreprise forcenée de Jack sera précisément de faire tomber. les masques En montrant ce qu’ils cachent : la Chair. Alors nous assistons à un jeu de massacres en 5 épisodes (incident) : tous les « monstres » adorés de l’Amérique -dont la famille ou la blonde pulpeuse- seront terrassés ; le « tueur » sera alors à même de (re)construire (cf titre ) en un lieu presque sanctuarisé, son Idéal….Mais humour oblige : son entreprise est soumise à des diktats (les fameux TOC dont l’hygiénisme forcené) qui risquent de faire rater la démolition. Si Jack = Lars von Trier, les « cadavres » sont comme les « dépouilles » de ses films précédents (Jack en répertorie plus de 60 ; ils sont bien conservés dans un local -chambre froide- jusqu’à ce qu’ils servent de matériau, de portique à la Maison Nouvelle dans laquelle vont pénétrer Verge (Virgile) et Jack …A noter que jusqu'à l'épilogue Jack était censé se "confesser" à un être "invisible" (Verge, Virgile dont la voix off questionnait, tançait ou prodiguait des conseils)
Dès lors on peut se poser la question : ce film est-il vraiment trash et gore au point d’écoeurer (sens littéral) le public ? Que nenni. L’humour est très présent et le personnage presque « pathétique » : cf ses questions à ce "faux" inconnu , ses constantes remises en question, les contraintes qu’il s’impose , son côté enfant sadique (et des flash back sur son enfance illustrent cette propension)
Persona non grata -suite à d’étranges propos tenus à Cannes il y a quelques années- Lars von Trier nous livre une œuvre palpitante -mais non nauséeuse- où l’on retrouve ce qui fait la spécificité de sa filmographie : découpage soigné, emprunts à la littérature à la mythologie, mélange de « picturalité » et de « documentaire »
Un film irrigué de citations, de musiques (Bach, entre autres et l'image récurrente de son interprète Glenn Gould ) qui se clôt sur « hit the road Jack » !!
Un film à l'éventail esthétique déroutant (récurrence d'une scène d'animation, images d'archives, et/ou recyclage d'images de films précédents, jump cuts -ou faux raccords, sautes d'images si perturbantes que certains spectateurs les assimilent à des faiblesses de montage...; mélange de grotesque et de sublime); un film provocant (confectionner un porte-monnaie avec le sein d'une victime, tuer avec un démonte-pneu...et j'en passe...)
Film un peu long certes ; longueurs dues à une certaine complaisance dans le traitement des différents meurtres? mais n’est-ce pas une autre forme de découpage??? ou dans les digressions -même assumées?
Un film à voir, assurément !
Colette Lallement-Duchoze