De Guillermo Del Toro USA
Avec Sally Hawkins, Michael Shannon Richard Jenkins
Lion d'Or à Venise
4 Oscars (dont meilleure musique originale d'Alexandre Desplat)
Employée d’un laboratoire gouvernemental ultra-secret, Elisa mène une existence solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda découvrent qu'une expérience terrible est menée sur une créature extraordinaire....
Fable politique? Conte fantastique ? Thriller ? Le film de Guillermo Del Toro est tout cela à la fois. Baignant presque de bout en bout dans des couleurs saturées de bleu et de vert, épousant la "fluidité" par l'absence de plan fixe -mais où chaque plan évoque la malléabilité de l’eau de façon explicite ou suggestive-, il est aussi la énième illustration de la Belle et la Bête
Il s’ouvre sur un songe -aquatique évidemment- raconté par le voisin d’Elisa un affichiste homosexuel qui risque de perdre son emploi. Une histoire mystérieuse, comme mise en abyme du film ?
Au moment où s’éveille Elisa, le décor flottant retrouve assises et verticalité. Puis la caméra va insister sur des gestes en apparence banals (masturbation dans la baignoire, cuisson des œufs, bob comme coussinet dans le bus) gestes dont on comprendra progressivement le pouvoir signifiant. Quotidienneté de l’intime qui va se doubler de la quotidienneté professionnelle. Car Elisa jeune femme muette (l'actrice Sally Hawkins a appris la langue des signes) est employée dans un laboratoire ultra secret de l’armée. Très vite la forme de l’eau vire au thriller fantastique : une créature mi-homme, mi-poisson pêchée en Amérique latine et dotée de pouvoirs extraordinaires, suscite l’intérêt de l’agent sadique (Michael Shannon) et du médecin de l’armée Robert Hoffstetler (Michael Stuhlbang) en fait un espion russe. Guerre froide oblige -nous sommes en 1963. Fable politique un peu simpliste ? Pas tant que cela car l’anticommunisme des ces années-là est ici tempéré par l’humanisme du médecin.
Guillermo del Toro semble plutôt se plaire à fédérer toutes les "minorités" : handicapés, latinos, noirs; minorités exécrées par les représentants du pouvoir. (le film a été écrit avant l'élection de Trump...) A un moment le monstre regarde fasciné "l’histoire de Ruth" un péplum biblique de 1960 : courte séquence sur la célébration de la différence... avec cet effet spéculaire, certes un peu facile
Un monstre ne sert-il pas avant tout à révéler la monstruosité de l’être "humain" ? Monstruosité de Strickland -Michael Shannon- lui-même dépendant d’un supérieur qui au nom de ses médailles fièrement arborées, revendique son omnipotence en décidant du sort de ses subalternes (l’exposé sur la "dignité" est à cet égard très éloquent)
Et n’est-ce pas la grâce phosphorescente du monstre qui par-delà les déluges de pluie et de haine va consacrer l’amour ??
Cela étant, malgré d'indéniables qualités visuelles, malgré la prestation de l'actrice et de son "amant" , malgré le rythme et l'humour, malgré l'adéquation entre la partition musicale et la "symphonie" liquide, on peut rester à quai...hors des mouvances et ondoiements...
Colette Lallement-Duchoze
PS je laisse aux exégètes patentés le soin de répertorier tous les « emprunts » et « références »