d''Ana Urushadze (Géorgie)
avec Nato Murvanidze, Dimitri Tatishvili
Manana femme au foyer de 50 ans est en plein dilemme: choisir entre sa vie de famille et sa passion pour l'écriture qu'elle a réprimée pendant des années. Lorsqu'elle décide de suivre enfin sa passion, elle y sacrifie tout, mentalement et physiquement
Parabole féministe ? Questionnement sur l’émancipation de la femme en Géorgie ? Interrogation sur la fonction dévorante de l’écriture ? sur l’inspiration, le processus créatif ; comment le réel le vécu sont transformés par l’alchimie du verbe ? Le premier long métrage d’Ana Urushadze (présenté en ouverture du festival "à l’est du nouveau" à Rouen et déjà auréolé d’un prix prestigieux à Locarno) est tout cela à la fois
Au départ Manana épouse et mère aimante semble soumise jusqu’à subir dans l’effroi du silence, opprobre et moqueries. Seul le voisin (patron d’une papeterie) croit en son talent d’écrivain et l’encourage à publier. La séquence où elle lit elle-même des extraits de son roman (rapidité du débit, absence d’intonation) sera déterminante à la fois dans son parcours et dans la trame narrative du film. Elle choisit de ne plus sacrifier sa vie d’écrivain à celle de mère au foyer. Ruptures.
C’est ce parcours fait de choix douloureux que met en évidence Ana Urushadze : et le gros plan prolongé sur le visage de Manana qui s’éveille, plan qui ouvre le film, prend rétrospectivement une signification particulière...
L’immeuble forteresse aux couleurs froides qui surplombe Tbilisi, filmé de face et qui abrite entre autres la famille de Manana, les portes que l’on ouvre et ferme dans l’appartement, les effets spéculaires dus à la présence de miroirs, l’espace rouge dans lequel elle se réfugiera pour mener à terme son roman et auquel elle accède par une porte noire comme dérobée, les bras offerts en écritoire, les carreaux de la salle de bain qu'elle scrute, car ils portent en filigrane les éléments-clés du roman, tout participe à (de) l’élaboration d’un univers mental – univers qui se nourrit du Réel pour le transfigurer. Et de même que la passerelle relie immeuble et contexte urbain, milieu familial et univers de la création, de même dans le processus créatif le surréel prolonge le réel, le fantasmé le vécu... Mais cette mère/écrivaine ne risque-t-elle pas de devenir Manananggal -cette femme monstre de la mythologie philippine- que la musique aux crissements suraigus accompagne dans sa fonction prédatrice ??
Ce "psychodrame" s’inscrit dans un ancrage sociologique que quelques profondeurs de champ (appartement quasi monacal) quelques propos (nous n’avons rien pour les invités) quelques plans (espace urbain) suggèrent… Et les diktats du mari suffiraient à illustrer le machisme omniprésent et omnipotent...qui semble perdurer...en Géorgie..
Un film qui n’est pas dénué d’humour (la traque du librairie, les quiproquos, le regard des autres, les ragots, les distinguos fallacieux en sémantique) mais la lenteur et quelques symboliques appuyées risquent de "déplaire" à certains spectateurs...
Colette Lallement-Duchoze