argument:
Aujourd’hui, en Algérie. Passé et présent s’entrechoquent dans les vies d’un riche promoteur immobilier, d’un neurologue ambitieux rattrapé par son passé, et d’une jeune femme tiraillée entre la voie de la raison et ses sentiments. Trois histoires qui nous plongent dans l'âme humaine de la société arabe contemporaine.
Trois histoires, trois générations. Des gens de catégories sociales diverses. Trois destins qui vont se croiser. Ils s’imbriquent grâce à la présence d'un personnage qui, secondaire à la fin d'un récit sera le personnage principal du suivant. Mais aussi grâce à des raccords qui pris isolément peuvent sembler artificiels et qui, rétrospectivement se chargent de connotations. Qu’il s’agisse de la voiture ou d’une panne occasionnelle : ces raccords illustrent la thématique revendiquée par le réalisateur : être confronté à la crainte d’aller vers ce que l’on ne connaît pas, hésiter à sortir de la "zone de sécurité" ; poids du passé qui vient enrayer la mécanique du présent….On avance on stoppe on bifurque. C’est que l’Algérie est à une "croisée de chemins" ; si elle subit -consciemment ou non- le trauma de la décennie sanglante (ex l’histoire du neurologue) elle attendrait son réveil (sens littéral du titre)....
Et dans ce "chassé-croisé" le réalisateur fait la part belle au corps : corps de ballet (une comédie musicale en plein désert); corps d'Aicha libérée du poids des traditions, qui évolue lascive sur une piste de danse dans un lieu improbable sous le regard médusé de Djalil ; corps recroquevillé de cet enfant, né d’un viol dont la parole sera à jamais muselée ; corps de cet homme tabassé que Mourad ne "veut" pas voir…Corps libérés ou en souffrance, c’est une matérialité, c'est un état brut pour qui veut "ausculter" son pays!
La caméra de Karim Massaoui nous entraîne du nord au sud de l’Algérie -de vastes panoramiques sur des paysages rocailleux d'une vertigineuse beauté, d'une majestueuse aridité ; des plans rapprochés ou d'ensemble sur des masures ou des bidonvilles. Elle nous plonge dans le milieu urbain rural ou le désert…..Alors que retentit l’incantation du vieux Siméon....Et si précisément le mélange de musique -Bach et Raïna Raï- participait à l’accomplissement d’un rêve ?
Certes on pourra reprocher quelques symboliques appuyées (la cataracte de Mourad le promoteur ou l'incapacité à voir le "réel" ; dans les toilettes Dahman le jour de ses noces se regarde fixement dans la glace puis se lave les mains….). De même la lenteur du rythme dans le deuxième épisode ou le jeu théâtral de certains personnages!
Mais le film qui suggère plus qu’il ne dit, qui joue sur le contraste entre espaces ouverts et fermés, rend compte avec intelligence d’une oscillation permanente et peut se lire comme la "radiographie de l’Algérie contemporaine en ses trois symptômes imbriqués: corruption, puissance du patriarcat, refoulé de la sale guerre"
Et voici qu’au final "surgit" un quatrième personnage que la caméra va suivre jusqu’au générique de fin ; comme si l’histoire allait se prolonger…...dans l’imaginaire du spectateur....
Colette Lallement-Duchoze