Avec Hiam Abbass, Diamand Bou Abboud, Juliette Navis
prix: Valois du Public au Festival d’Angoulême
Dans la Syrie en guerre, d'innombrables familles sont restées piégées par les bombardements. Parmi elles, une mère et ses enfants tiennent bon, cachés dans leur appartement. Courageusement, ils s’organisent au jour le jour pour continuer à vivre malgré les pénuries et le danger, et par solidarité, recueillent un couple de voisins et son nouveau-né. Tiraillés entre fuir et rester ils font chaque jour face en gardant espoir.
Écran noir. Bande-son : déflagrations (bombes ? mitraillettes?). On est averti. Et dès les premiers plans (dont un prolongé sur le visage d’un vieillard vu de face, dans l’embrasure d’une fenêtre, scrutant l’extérieur; lents travellings sur la bibliothèque, les canapés, les buffets d’un appartement) on sait que tout va se passer à huis clos ; et l’on sera enfermé avec cette famille syrienne confinée dans un appartement en quête de survie. L’extérieur -les combats- restera hors champ
Comment rendre tangibles, palpables la claustration et la peur ? Caméra à l’épaule, le réalisateur filme les déplacements de ses personnages dans cet intérieur comme sur une scène de théâtre ; pris isolément, en duos ou en groupe ils vont se figer ou se terrer dans la cuisine, quand retentit le feu ou le martèlement de pas à l’étage supérieur ou dans la cage d’escalier. Dans cet enfer, la mère (admirable Hiam Abbass) tente d’organiser le désordre, d’imposer un "semblant" de Vie (rituel de la toilette, du repas ; même s’il y a pénurie d’eau…).
Son entêtement à vouloir rester dans un immeuble déserté par tous les autres occupants -et qui est devenu la cible des pillards, n’est pas la preuve d’un déni du réel. Le réalisateur montre avec subtilité ce que l’oppression et l’effroi peuvent engendrer chez les êtres humains (ici une foi inébranlable en la Vie) . Et de toute façon, partir ne serait-ce pas déserter ? Partir oui, mais pour aller Où ?? La même femme est capable au nom de l’intérêt général, de "sacrifier" une personne (en l’occurrence la voisine Halima qu’elle avait recueillie) -et la scène de viol imaginée par la famille cloîtrée derrière la porte et simultanément vécue par la victime dans la chambre est comme l’acmé de ce film. Le silence refoulé, les regards accusateurs sont plus éloquents que les cris de douleur….Théâtre de la guerre ; théâtre intérieur, théâtre de la cruauté!
On pourra reprocher des insistances inutiles (les gros plans sur Halima présentée telle une madone) ou des métaphores appuyées (rôle de la table, des objets, des rideaux). Mais globalement le film (tourné dans un appartement à Beyrouth) a su mettre en évidence un aspect sordide de la guerre, de toute guerre : des civils en état de siège -dont le huis clos est la métaphore. Une telle dénonciation de la guerre est plus efficace que les "images" de dévastation dont nous abreuve la presse, sans discernement !
Passé dépassé ? Présent déserté ? On ne saura pas ce que le regard du grand-père (dernier plan du film en écho à un des premiers) a entrevu après cette journée d’enfermement (réminiscences telles de discrets fantômes ? Méditation sur une mort annoncée ?)
"laisse le monde dehors il ne vaut plus rien"
Colette Lallement-Duchoze