De Kim Ki-duk (Corée du Sud)
avec Ryoo Seung-bum, Lee Won-geun, Young-Min Kim
Sur les eaux d'un lac marquant la frontière entre les deux Corées l'hélice du bateau d'un modeste pêcheur nord-coréen se retrouve coincée dans un filet. Il n'a pas d'autre choix que de se laisser dériver vers les eaux sud-coréennes, où la police des frontières l'arrête pour espionnage. Il va devoir lutter pour retrouver sa famille....
La réunification de la Corée est-elle possible ? Non tant que des deux côtés de la frontière perdurent incompréhension, méfiance voire une forme de paranoïa, semble dire le réalisateur à travers l’histoire d’un pêcheur entraîné bien malgré lui dans un enfer aux accents kafkaïens …
Si l’éducation communiste dans un régime dictatorial dynastique l’empêche de "regarder" le miroir aux alouettes d’un système capitaliste, lui qui ne vit que pour sa famille (et son instrument de travail, le bateau, est précieux) comprend progressivement que des systèmes politiques opposés ne sont pas sans failles. Privation rédhibitoire de liberté ? ou impossibilité de profiter d’une liberté réservée aux plus nantis? : le cas de la prostituée à Séoul est exemplaire….
Les scènes d’interrogatoire, les procédés musclés, la torture physique et mentale, la manipulation des médias, la fabrication des images, sont quasi identiques des deux « côtés » (seul change l’environnement plus précaire voire sordide d’un côté, plus sophistiqué de l’autre). Les inquisiteurs eux-mêmes sont victimes d’une forme de parano et les sous-fifres obéissent docilement aux diktats des supérieurs
Si la critique dénonce des failles au niveau formel (schématisme, raccords, démonstration trop appuyée etc. ) ne serait-ce pas plutôt une forme de maquillage hypocrite ? (on met en avant des lacunes formelles pour éluder un message qui ne sied pas à la doxa, en évitant de l’attaquer frontalement) Car en Occident les médias diabolisent (certes avec raison) la Corée du Nord mais sont assez indulgents envers la Corée du Sud. Kim Ki-duk, lui, sud-coréen, dénonce une incompréhension mutuelle entre les deux pays et s’intéresse avant tout à l’humain et à la quête du « bonheur »
Non Kim Ki duk n’est pas manichéen (il s’interroge sur la déshumanisation dans toute forme de régime politique) Non il n’a pas bâclé son travail (il faut imaginer tout le travail de documentation en amont et comme il disposait de peu de moyens il fut à la fois scénariste réalisateur et monteur) Non le film n’est pas entièrement « noir » (le cas du garde du corps sud-coréen qui s’insurge contre les pratiques ignobles de l’inquisiteur, son amitié naissante avec le pêcheur le prouvent aisément)
Certains spectateurs auraient aimé « retrouver » la poésie symbolique de « locataires » ou de « printemps été automne... » ? La poésie ici est celle de ces eaux troublées, (filmées en de grands aplats) de ces filets (sens propre et figuré), de ce corps nu recroquevillé dans une tourmente indicible ! La poésie est celle du quotidien, de cette peluche que serre avec un mélange de délicatesse et de force la gamine….l’unique fille de ce pêcheur ...que les rets vont embourber jusqu’à l’effacement...
Colette Lallement-Duchoze