De Hong Sang-soo (Corée du Sud)
avec Kim Min-Hee, Hae-hyo Kwon, Kim Saebuk
Présenté en compétition au festival de Cannes 2017
Comment une situation apparemment vaudevillesque -quatre personnages, triangulation amoureuse- devient oeuvre d'art , c'est tout le charme de ce film -ce qui, faut-il le rappeler ad libitum, prouverait une fois de plus qu'une oeuvre ne saurait se réduire à son histoire...
On sait la prédilection du cinéaste pour "les intermittences du coeur" ; on connaît sa façon de filmer: un dispositif resserré, peu d'acteurs, caméra souvent fixe, décors banals, importance accordée aux repas et à la prise d'alcool
Ici le noir et blanc, l’éclatement de la temporalité (même si par deux fois un gros plan sur l’horloge inscrit le récit dans une chronologie précise : une journée) ainsi que l’enchevêtrement ou la superposition de "récits" et situations illustrent l’ambiguïté du personnage principal Bongwan, directeur d’une maison d’édition, mais aussi sa lâcheté (ce que clame haut et fort une protagoniste).
Seule Areum -elle vient d’être embauchée – sera réellement affligée par la duplicité de ses semblables et dans la dernière scène (sorte d’épilogue) non seulement elle se rappelle à la mémoire de son ex patron (ici la variation -on entend quasiment les mêmes propos que le jour de l'embauche- est ironique…) mais elle le questionne sur ses choix dans le champ du possible et de l’infidélité !
Parfois le "blanc" surexposé (la cuisine dans la maison de Bongwan, l’intérieur de sa librairie, la bouche de métro, la chaussée enneigée) semble obéir à une logique, celle de scruter le(s) personnage(s) de façon crue – alors que quasi simultanément se profilent ou s’estompent des silhouettes fantomatiques, qu’elles soient ressuscitées par le souvenir ou tout simplement fantasmées….
Bongwan quitte son domicile très tôt un matin pour se rendre au travail, après un interrogatoire en bonne et due forme de l’épouse qui le soupçonne d’avoir une liaison adultère (c'est la scène d'ouverture): le voici qui marche dans la rue ; le plan suivant autre lieu, autre femme, autre temps. Il en ira de même dans la librairie, au restaurant… Ce montage qui au départ peut désorienter le spectateur est aussi une invite à nous interroger sur le "réel" - sommes-nous dans le passé (celui de Bongwan et de son amante, son ex employée) le conditionnel (celui d’Areum) alors que le présent (celui de l’épouse) est dénaturé par un quiproquo...
Le couple est face à face attablé au restaurant, nous le voyons de profil, sur le mur le portrait de Bach qui regarde en légère plongée, la caméra va d’un personnage à l’autre, d’un visage à l’autre en léger travelling latéral, avec parfois un zoom, alors que la discussion porte sur Dieu, l’écriture, pourquoi vous vivez ? demande avec candeur et sérieux Areum à son patron … La réponse ? "le jour d’après"...
Soseki s'est invité "Quand la difficulté de vivre s’intensifie, l’envie vous prend d’aller ailleurs. Une fois que vous avez compris que la peine est partout la même, alors la poésie peut naître"
Colette Lallement-Duchoze
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