Premier long métrage du cinéaste turc Mehmet Can Mertoglu
Avec Sebnem Bozoklu, Müfit Jacayan, Murat Kliiç
Présenté à la Semaine de la critique (festival Cannes 2016)
Au départ une supercherie : un couple infertile "invente" une grossesse – ventre faussement arrondi couple heureux, visage souriant, - puis procède à l'adoption - bébé dans les bras du " géniteur", de la "parturiente", du chirurgien obstétricien etc. Ces clichés ces instantanés voire ces selfies ce sera l’album de famille !
Le réalisateur a choisi une forme laconique et le style pince-sans-rire : peu de dialogues, caméra fixe souvent, personnages en frontal figés dans leurs mensonges, ou plans larges pour dénoncer à la fois le fameux mythe de la virilité liée à la procréation, le racisme des personnages principaux (classe moyenne) et cette tendance condamnable à falsifier l’histoire en la réécrivant (apanage des dictatures et des prétendues démocraties…dont celle d'Erdogan...)
Le ton était donné dès le prologue qui tient d’un documentaire animalier sur les différentes étapes de l’insémination artificielle d’une vache ; soit trois scènes dans un univers froid -depuis la récupération du sperme du taureau jusqu’à la naissance du veau en passant par les manips en laboratoire. L’analogie s’impose dans son implacable évidence : l’homme est un animal ; le mâle a vocation de procréer ; l’être humain obéit en s’y soumettant à tous les carcans qui jugulent sa liberté ou dictent sa pensée.
Des saynètes vont se dérouler comme autant de tableaux illustrant cette quotidienneté. Si celle-ci est souvent étrange (décalage entre les propos entendus et les images qui les démentent) parfois surréaliste (dinde qui s’ébat dans le bureau du directeur de l’orphelinat) elle frappe surtout par l’antipathie que suscitent les deux personnages principaux Bahar et Cüneyt (racisme primaire, goinfrerie animale, soumission à tous les diktats). La séquence finale près de la cascade serait-elle signe d’ouverture ? ou condamnation sans appel?
On pourra toujours affirmer que le cinéaste turc est dans la lignée de Kaurismaki ou de Corneliu Porumboiu. Cette comparaison vaut pour la forme elliptique et distancée ; mais l‘humour si particulier de "l’album de famille" ne se catégorise pas ! Une chose est sûre : Il met souvent mal à l’aise.
La charge contre le régime turc en sera-t-elle plus efficace??
Colette Lallement-Duchoze