De Ivo M. Ferreira
avec Miguel Nunes (Antonio) Magarida Vila-Nova (Maria José) Ricardo Pereira (Major M) Joào Pedro Vaz (le Capitaine)
En 1971 un jeune médecin portugais est mobilisé dans l'armée pour servir en Angola où fait rage une guerre coloniale absurde et inutile. Chaque jour il envoie à sa femme des lettres d'amour. Ce jeune homme en train de devenir écrivain, c'est Antonio Labo Antunes. Les lettres sont l'inspiration du film
Un projet ambitieux: donner vie, en les portant à l'écran, aux lettres d'amour écrites par Antonio Lobo Antunes à sa jeune femme enceinte restée au Portugal. Nous sommes en 1971; il a 28 ans; il est enrôlé dans cette "sale" guerre en Angola comme médecin. Rappelons que l'Angola, colonie portugaise, accédera à l'indépendance après 15 années de lutte (1960-1975) jusqu'à l'épuisement de la métropole et la Révolution des Oeillets
Une voix off -celle d'une femme le plus souvent, soit la destinataire des missives- nous fait entendre, languide, ce chant d'amour de désespoir et de Vie, cette attente anxieuse et maudite. La femme est vénérée à la façon d' André Breton (poème "l'union libre") : la femme microcosme du Monde, femme enchanteresse dont il "aime tout jusqu'à la fin du monde"; femme Muse, femme dépositaire de confidences (c'est un drame pour moi de trouver des choses à dire aux gens; je suis peuplé d'un silence de forêt absolument incommunicable)
Alors que nous entendons ce flux mémoriel et sensuel, nous voyons le jeune médecin sur le "front" à un avant-poste. Mais l'image (superbe noir et blanc) n'illustre pas les "mots" (hormis peut-être la scène d'ouverture avec cette magnifique contre-plongée ou ce plan large sur des passagers attablés et sur l'orchestre; alors que les enrôlés sont à bord du bateau en partance pour l'Angola. Antonio croque, avec une ironie enjouée, l'orchestre Vera Cruz composé de parfaits titis lisboètes maigrichons, l'oeil coquin...
C'est que le dispositif voulu par le réalisateur doit créer une "distance" , montrer une "absence" (le choix du off doit rendre palpable l'éloignement -de la femme, du pays- et sa douleur torturante et le choix du noir et blanc doit rendre compte de l'absurdité de la guerre telle que la voit ou la vit Antonio, restituée comme en décalé ). Rappelons que le soldat/médecin est aussi un apprenti-écrivain, et un homme amoureux qui dans un contexte tragique a cherché et trouvé dans les "mots" un viatique exorcisant
Mais alors que Gomes dans Tabou (puisqu'il est de bon ton de comparer les deux approches) avait su mêler fantômes du cinéma -le muet, avec Murnau- colonialisme, surréalisme et chant d'amour avec une rare liberté et une audace dans les enchaînements, Ferreira tout en exploitant une certaine langueur, tout en jouant sur les "surimpressions" -réalité et rêve, caméra subjective- ne décuple pas la magie du noir et blanc et les "faits de guerre" semblent plaqués artificiellement (même l'appel lancé par Marcello Caetano à défendre le Portugal contre ses ennemis); on a droit aux clichés traités tels des instantanés: soldats qui pètent les plombs, copulent avec des "locales", tuent à bout portant, se saoulent, ou qui sont pris dans les pièges de mines ou d'éboulements...
Lettres de la guerre reste en-deçà des attentes légitimes du spectateur; mais le lecteur/auditeur de "De ce vivre ici sur ce papier" (dont s'inspire le film) sera comblé à l’écoute d'un cœur mis à nu ....
Colette Lallement-Duchoze