De Ralitza Petrova (Bulgarie)
Avec Irena Ivanova, Ivan Nalbantov
Ce film a obtenu (entre autres) le Léopard d'or et le Léopard pour l’interprétation féminine au dernier Festival de Locarno ; le Cheval de bronze au Festival de Stockholm
Il est présenté en compétition au festival à l'Est du nouveau à Rouen (3/12 mars 2017)
argument:
"Dans une ville bulgare isolée, Gana s’occupe de personnes âgées et revend leurs papiers d’identité au marché noir. Sa vie personnelle n’est pas une réussite. Mais les choses vont changer quand elle entend Yoan un nouveau patient, chanter…"
La réalisatrice a choisi le format 4,3 c’est celui du portrait ; en éliminant toute fioriture il permet de se concentrer sur un visage et se prête aux gros plans – ici celui de Gana ; sous une apparence impavide ses yeux bleus d’abord hagards et vides seront comme hypnotisés par un lointain inaccessible, avant de se perler des larmes de la Douleur
Format de l’enfermement aussi : le cadre emprisonne le(s) personnage(s) et ce faisant, le spectateur lui-même se sentira comme englué dans cet espace rétréci (où la sordidité est appuyée par une bande-son qui martèle avec force les pas, le claquement des portes)
au secours ! de l’eau ; ce cri de détresse semble venir des tréfonds de la terre ; alors qu’une voiture sillonne la route, que les rares paroles échangées livrent des bribes d’explication (il ne portera plus plainte!) et qu’un chien cavale persuadé que son maître est toujours dans le coffre….C’est le prologue ! Triomphe de la force du Mal comme message subliminal ?
Puis procédant par petites touches minimalistes, le film va illustrer le quotidien de Gana ; prodiguer des soins à domicile , extorquer à ses patients séniles et sans défense leur carte d’identité pour un trafic plus ou moins lucratif -son compagnon en est l’intermédiaire et Pavel (police) un des bénéficiaires…-.Une vie sexuelle inexistante -ou refoulée ?- que compense l’addiction à la morphine ou le voyeurisme ; des relations tendues avec sa mère ; des pauses réfectoire. Bref, rien d’exaltant (t’en as pas marre de torcher le cul de tes vieux ? Lui demande un jour Aleko son compagnon garagiste)
L’atmosphère est lourde glauque plombante. Ce que renforcent ces vues en plongée et en contre plongée sur des immeubles " anesthésiés " et ces plans larges sur des lambeaux de friches ou de terrains vagues enneigés -comme si le " mouroir intérieur " avec ses paliers sombres et délabrés, ses appartements " pourris ", projeté à ciel ouvert, avait contaminé l’espace extérieur. Seule la séquence au cours de laquelle Yoann évoque son passé de prisonnier politique est traitée dans la lumière chaude des toiles de Georges de la Tour
Inspirée par les chants liturgiques orthodoxes (Yoann Dimitrov -son nouveau patient- est professeur de chant et dirige la chorale) et refusant d’être la complice d’un meurtre (son compagnon a provoqué la mort d’une " patiente " qui menaçait de les dénoncer) Gana accède à la " Révélation " c’est son Epiphanie et son Credo ": Je veux aimer "
Mais une " rédemption " est-elle seulement envisageable dans un monde de cynisme? où police et justice sont corrompues, et ce, depuis des générations ; ce que précisément dénonçait Yoan….Tout un pan de l'histoire bulgare affleure ainsi par bribes...et le constat sur les illusions perdues du communisme et de l'après- communisme est bien amer!
Le jour qui se lève n'est pas (encore) l'Aurore
Colette Lallement-Duchoze
NB: Les (rares) moments de grâce que vit Gana habitée par la musique des chants liturgiques sur la rédemption peuvent paraître un peu naïfs voire niais à qui n’a et n’aura jamais la foi …
Dans certains films de l’Est, présentés au festival, la religion est prégnante et la foi du "croyant" se confond souvent avec la religiosité. Yoan au contraire affirme avoir la foi, mais…. en lui-même