6 mars 2017 1 06 /03 /mars /2017 06:29

Documentaire de Goran Radovanovic (Serbie 2011)

(dans le cadre du festival à l'Est du nouveau Rouen, mars 2017)

 

Argument: Sierra Maestra, Cuba, 850km à l'est de la Havane, le jour du 52ème anniversaire de la révolution, le destin de plusieurs personnes est retracé à travers leur quotidien

Con Fidel pase lo que pase

Ce " documentaire "de Goran Radovanivic aura "désappointé" certains spectateurs. Pourquoi ? Les Cubains que filme le réalisateur semblent vivre dans une sorte de léthargie muette, se contenter du strict minimum, ne pas se rebeller (lors de la panne de bus par exemple) leurs conditions d’existence sont précaires et même archaïques 

La réponse de Goran Radovanovic est double; la première tient à l’essence même du "documentaire" ;celui-ci n’est jamais objectif (la "réalité " passe par le prisme d’une subjectivité qui va comme diffracter ce " supposé " réel) ; la seconde correspond à des choix personnels : tordre le cou à tous les clichés véhiculés par les Occidentaux, en filmant hors des " sentiers battus " et dans des régions méconnues des touristes…

 

Cela étant, ce documentaire est une véritable "leçon de cinéma"

 

Sa facture obéit à une construction rigoureuse. Chaque séquence est annoncée par le chant d’une femme ; d’abord vue en plongée, elle avance, protégée par une ombrelle (?) ; puis vue de face elle interprète à chaque fois une chanson (dans l’une, allusion à Moscou) ; son interprétation plus que maladroite va délibérément à l’encontre des stéréotypes habituels. Au final elle sera vue de dos comme si elle quittait définitivement à la fois l’écran et l’histoire….

Le film est découpé en plusieurs tableaux annoncés par un encart " motocycliste " " Rodriguez " le téléphone " " le mégaphone ". Mais chacun des personnages rencontrés individuellement et dont la caméra aura suivi le parcours (parfois du matin jusqu’au soir, ce dont rend compte le changement de lumière) sera présent dans d’autres séquences (le motocycliste du début annoncera de son mégaphone le rassemblement du 1er mai ; l’aveugle qui téléphonait sera le chanteur accompagné d’instrumentistes sur l’estrade pour la fête)

Ainsi pris isolément en tant qu’individu un personnage devient partie d’un grand tout. À l’instar de la fête collective organisée pour le 1er Mai et pour rendre hommage à Fidel ; à l’instar d’un régime fondé sur le " collectivisme "

Des similitudes sont perceptibles d’une séquence à l’autre. Les pannes à répétition du cyclomoteur trouvent un écho dans celle du bus qui oblige les passagers à descendre. Le parcours du " dentiste " pour se rendre à son " cabinet " est hérissé de difficultés (attendre, marcher, prendre le bus, ou monter à cheval) tout comme la " circulation " des messages (les voix de l’appelant et du destinataire nous parviennent en off le plus souvent, tandis que d’autres personnes patiemment attendent leur tour) ; le seul téléphone dans ce bourg est " public "même s’il est installé sur la terrasse d’une maison de " particuliers ". La répétition des mêmes gestes (ce couple qui mange puis se balance sur un rocking-chair et remet à sa place chaque objet);  le défilé à la queue leu leu des gamins si bien vêtus se rendant à l’école;  le barbier qui exerce au milieu de la rue ; rien n’est laissé au hasard car tout a une fonction métaphorique (le téléphone et la confiscation de l’intime par exemple)

Une alternance entre scènes de rue (avec ses dénivellations) et scènes d’intérieur (la maison, le cabinet dentaire, l’habitacle du bus) avec tout un travail sur la lumière. Des audaces aussi : cette façon de filmer le motocycliste avec de gros plans sur son bras velu ou sur sa main et si l’écran semble maculé c’est en fait celui du pare-brise…

Tout cela participe de (et à)  l'évocation de fragments de destinées  humaines dans un récit qui tient à la fois de la "contemplation" et du "documentaire poétique"

 

Colette Lallement-Duchoze

 

 

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