De Rafi Pitts (réalisateur né en Iran en 1967 d'une mère autochtone et d'un père anglais, persona non grata dans son pays depuis Hunter !)
Avec Johnny Ortiz, Rory Cochrane, Darrell Brit-Gibson
Un film qui peut déconcerter tant il procède par ellipses et ruptures de ton -même si deux séquences importantes sont traitées de façon linéaire, la dernière souffrant même de certaines "longueurs"... . Mais ces procédés n'illustrent-ils pas le parcours chaotique de Nero ce jeune latino-américain de 19 ans dont l'"errance" va le mener du Mexique -où il a été expulsé après les attentats du 11 septembre- aux USA, de Beverly Hills au Proche-Orient? Il marche, il court, jusqu'à se confondre avec le mouvement traité telle une épure calligraphiant l'espace... À la conquête d'une identité qu'on lui a refusée ou dont on l'a spolié, il est Nero ce clandestin confronté à ces lignes de démarcation que représentent les frontières; et même s'il est engagé par l'US Army pour être lui-même un "garde-frontière", son sentiment d'appartenance à la nation américaine sera de courte durée et plus cruel sera le désenchantement ! Le réalisateur dédie d'ailleurs son film à tous ces soldats "immigrants" les green card soldiers" (ces "étrangers" qui pour devenir citoyens américains se sont engagés dans l'armée et que l'on expulsera!)
Des interrogatoires en échos (au tout début et à la fin avec la question lancinante de "l'identité"); des rencontres marquées du sceau de l'ambiguïté (un chauffeur qui le prend en stop à la fois père affable et vétéran détraqué; Jesus le frère se pavane dans sa luxueuse villa (ah le rêve américain!) mais n'en est pas moins à la solde de trafiquants; les deux soldats afro-américains en poste à un checkpoint "rejouent" la rivalité East Coast/ West Coast).
Des raccords inattendus: nous quittons le frère, Jesus, et juste après nous sommes propulsés dans une zone désertique (Afghanistan? Irak?).
Des contrastes criants (misère de la clandestinité et opulence des nouveaux riches; ténèbres complices du fugitif et aridité craquelée pétrifiée de soleil où est engagé le soldat).
Tout cela au service d'un questionnement sur la notion même de frontière (qu'elle soit ethnique, nationale économique, ou sociale) et des atrocités qu'elle génère (au nom de..), ce que suggérait d'ailleurs la parabole de l'éléphant et de la fourmi au début du film (une parabole destinée à Nero qui restait hors champ!)
Certes on pourra reprocher à ce film une forme de systématisme (chaque plan montrant de façon tangible ou suggérant plus subtilement une "ligne" de démarcation contre laquelle bute sans cesse Nero ….) et pourtant quel sens de l'absurde dans le traitement d'un sujet qui nous concerne tous au premier chef :la nationalité des étrangers.
Un film où l'esthétique propre à la fable s'en vient draper le réel -Nero après avoir franchi le mur qui sépare le Mexique des Etats-Unis trompe la vigilance des garde-frontières à la faveur d'un ciel constellé des feux d'artifice du Nouvel An! Des myriades d'étoiles annonciatrices d'un "futur" plus faste? Mais l'Odyssée de Nero n'en était qu'à ses prémices....
Colette Lallement-Duchoze