de Bertrand Bonello
Avec Finnegan Oldfield (David), Vincent Rottiers (Greg), Hamza Meziani (Yacine), Manal Issa (Sabrina), Martin Guyot (André), Jamil McCraven (Mika), Rabah Naït Oufella (Omar), Laure Valentinelli (Sarah), Ilias Le Doré (Samir), Fred (Robin Goldbronn), Luis Rego (Jean-Claude), Hermine Karagheuz (Patricia) Adèle Haenel (a jeune femme au vélo)
Certains spectateurs reprochent à Bonello d'être un "irresponsable" (avoir osé faire un film comme le sien sur le terrorisme) Faut-il rappeler que Nocturama a été tourné bien avant les attentats de 2015? Prescience donc plutôt que complaisance! D'autre part le mot "terrorisme" - galvaudé il est vrai depuis le 11/09/2001 et en France depuis janvier 2015- ne convient guère à propos de Nocturama. Préférons-lui celui d'insurrection. Certes Bonello ne mentionne pas les motivations de ces jeunes (il est intéressé plus par le "comment" que par le "pourquoi"), même si quelques flash-back illustrent brièvement leur "rencontre" -le seul discours est celui laconique et plein de sous-entendus de la jeune femme à bicyclette "ça devait arriver". Les jeunes "terroristes" du film incarneraient plutôt la figure de la rébellion. Ce que "cachent" les reproches serait peut-être d'avoir amalgamé dans le groupe de "poseurs de bombes", des jeunes aux appartenances sociales religieuses et ethniques très diverses (juifs arabes fils de bonne famille...) alors que dans le contexte actuel en France on ne parle que de "musulmans radicalisés"
Au moins le film a le mérite d’interroger "politiquement" le spectateur....
D'un point purement formel Nocturama est d'une beauté rare où TOUT (cadres, plans, mouvements, angles de vue, jeux de travellings, flash-back, scène hors champ vécue sur le mode cauchemardesque, split-screen etc..) est travaillé comme au cordeau
Nocturama (ce mot désigne la partie d'un zoo où vivent des animaux nocturnes avec des installations d'éclairage spéciales) se présente sous la forme d'un diptyque: préparation et exécution d'attentats aux points stratégiques du "capitalisme" et du "pouvoir" , puis enfermement/réclusion dans un grand magasin de "luxe". Son épilogue reddition et mort rappelle la tragédie antique
Le film joue ainsi sur l'opposition extérieur/intérieur; jour/nuit, mutisme grave (en I) bande sonore surdimensionnée (en II) Mais l'essentiel est de "montrer" que quelque chose gronde sous la surface qu'une menace existe réellement même et surtout si elle est "masquée": couloirs dédaléens du métro (en I) huis clos (en II) avec écrans de surveillance vite remplacés par les split-screen. Le grand magasin lui-même devient le lieu de tous les "fantasmes": les mannequins s'animent, on se travestit on porte des masques, on peut manger et boire à gogo alors que sur les écrans géants défilent les feux d'un embrasement qu'on croyait jusque-là "virtuel" ...
Colette Lallement-Duchoze
NB: la Samaritaine dégoulinante de luxe dans Nocturama - où les jeunes doivent "attendre 10h"- ne renvoie-t-elle pas à la cage dorée où sont enfermées les prostituées de l'Apollonide? De même la Jeanne d'Arc en flammes n'est pas sans rappeler la juive balafrée!