De Pietro Marcello, Italie
Avec Tommaso Cestrone, Sergio Vitolo, Gesuino Pittalis
"Dans un monde qui nous prive d'âme, être buffle est un art"
Telles seront les ultimes paroles de Sarchiapone, alors que de ses immenses yeux de bufflon, goutte une larme perlée...
C'est son parcours que nous suivons (à travers son regard le plus souvent et à l'écoute de sa voix off) dans ce film/conte où le merveilleux côtoie le tragique, où l'apparente fiction voile les arcanes du réel ou les révèle dans leur âpreté, où se télescopent paysages de la Campanie et images en sépia de foules, scènes de déprédations et fresques de style étrusque. Une image récurrente celle de l'antre telle une matrice inviolée, un plan récurrent lui aussi celui de l'arbre dénudé, l'arbre de la Mort, le jeu d'oppositions entre le pragmatisme des bergers paysans (un buffle mâle coûte plus cher qu'une femelle, alors inutile de l'engraisser mangeons-le) et le rêve de Tommaso ou de Polichinelle, tout cela invite à une lecture plurielle (égalité entre les espèces, histoire d'un pays dévoré honteusement par les prédateurs, un pays perdu comme le signalerait le titre emprunté à Nabucco)
Dès la première séquence la tonalité est donnée; la caméra (en fait l'oeil du bufflon) virevolte dans un engrenage bleu aux bruits effrayants, c'est l'antichambre de la mort!
D'abord recueilli par le berger Tommaso Cestrone, l'ange gardien du palais Reggia di Carditello (Campanie) devenu une gigantesque poubelle et qui seul (sans aide financière) a entrepris de débarrasser tous les détritus, de lutter contre les assauts de la Camorra. À la mort de ce "héros local", Sarchiapone est confié à Polichinelle ("émergeant des profondeurs du Vésuve"); c'est un personnage masqué -comme dans la commedia dell'arte- il est l'intermédiaire entre vivants et morts. En compagnie de ce duo (cf l'affiche), nous quittons la Campanie pour Tuscia (à l'ombre de la figure tutélaire de Tommaso)
Masqué, Polichinelle parlait avec l'animal. Démasqué, il perdra le contact car ce dernier ne le reconnaît plus..
Mais un conte ne doit-il pas aussi "dire la vérité toute nue" ???
Et cette vérité c'est celle d'une patrie si belle et perdue
Colette Lallement-Duchoze