de Dalibor Matanic (Croatie, Serbie)
avec Tihana Lazovic (Jelena / Natasha / Marija), Goran Markovic (Ivan / Ante / Luka), Nives Ivankovic (Mère de Jelena / Mère de Natasha), Dado Cosic (Sasha), Stipe Radoja (Bozo / Ivno), Trpimir Jurkic (Père de Ivanov / Père de Luka), Mira Banjac (grand-mère d'Ivan)
Musique : Mychael Danna
Prix du jury section Un certain Regard Cannes 2015
Festival Rouen "à l'Est du Nouveau" prix jeune public (mars 2016)
Trois dates 1991, 2001 et 2011, trois moments de l'histoire dans l'ex-Yougoslavie, trois histoires d'amour contrarié; mais un même lieu (deux villages voisins) et les deux mêmes acteurs pour interpréter, chacun , trois protagonistes; comme si l'amour transcendait ce "winter is coming" qu'avait prédit la grand-mère....
Des scènes récurrentes d'un fragment à l'autre, avec leur cortège de connotations dont le sens varie avec les périodes -l'eau, celle des ébats amoureux et son double abyssal; la présence d'un chien, témoin impassible de tous les cataclysmes; le gros plan, certes furtif ,sur une mouche ou araignée comme engluée dans les miasmes et cette musique qui tempête vers la fin de chaque épisode et surtout à la fin du troisième où la jeunesse défoncée par l'alcool et la drogue se déchaîne sur de la musique électro comme pour ensevelir ses traumas.
L'alternance entre plans très rapprochés (sur les amants) plans d'ensemble (sur les paysages ou la population) et profondeurs de champ (à l'intérieur des maisons), le jeu des ellipses qui fait du spectateur un auteur/acteur, le traitement de la lumière -scènes de nuit et de jour, les clairs-obscurs- comme expression des sentiments, tout cela participe de la volonté du réalisateur : dénoncer la xénophobie, la haine de l'autre
En I, un troupeau de moutons est effrayé par les armes des belligérants: effets "collatéraux" de la guerre qui se prépare? En II, Ante rabote une porte, Natasha dans une autre pièce fait danser salière et poivrière au même rythme que celui du rabot : succédané d'une danse nuptiale?
Mais ce qui frappe , c'est l'omniprésence de la violence à la fois stigmate de la guerre et quintessence de l'amour; une violence qui par-delà les âges, les générations semble dévolue en héritage. Car ne nous leurrons pas la scène idyllique -traitée de façon naturaliste- qui ouvre le premier fragment, d'abord placée sous le signe apollinien du soleil et de la lumière vire au cauchemar, à la tragédie: l'amour entre jeunes d'ethnie différente est pour les radicaux un non-sens, une tare, une honte qui souille l'honneur de la famille. La caresse voluptueuse du vent, de l'eau, des herbes et des cheveux n'a pu vaincre la haine. Le gros plan sur la main de l'amoureux cherchant en vain l'embouchure de sa trompette sonne le glas de toute fraternité; les larmes et les cris de douleur de l'amante endeuillée vont se perdre dans l'infini de la désolation. Désolation sur laquelle s'ouvre le deuxième volet du triptyque: long travelling latéral sur les maisons en ruines "Les miens ont tué ton frère, les tiens ont tué mon père" dira Ante pour répondre à la colère de Natasha hantée par la mort du disparu qu'elle continue à vénérer ! Son désir -très physique- d'Ante, qu'elle satisfait dans la torridité ambiante, ne pourra se convertir en amour; la guerre perdure au tréfonds de soi.. Dans le troisième volet Luka seul -avec lui-même, avec son passé- attend sur les marches de la maison de Marija; elle-même à l'intérieur, seule avec l'enfant, d'abord séparée par le mur de silence, celui de l'incompréhension haineuse- consentira à "ouvrir" la porte....
Colette Lallement-Duchoze