30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 05:49

De Lydie Wisshaupt-Claudel

 

Grand Prix Cinéma du Réel 2015

 

Killing  time, entre deux fronts

Comment tuer le temps dans cet espace écrasé de chaleur quand on revient du front? Et qu'on y sera de nouveau appelé? (question implicitement posée par le titre)

Nous sommes à Twentynine Palms, petite ville au sud de la Californie avec sa base militaire qui accueille chaque année de jeunes marines de retour d'Irak ou d'Afghanistan.

Voici un plan fixe prolongé: deux pancartes  "welcome to the city"; au tout premier plan des palmiers;  au second l'immense plaine et en arrière-plan quelques collines bleutées. Bienvenue dans ce vide, celui du désert de Majave précisément. De longs plans fixes sur des façades (station service par exemple) que l'homme semble avoir désertées; une route serpente déserte elle aussi. De larges panoramiques sur le paysage environnant semblent créer des analogies avec ceux  (hélas) "familiers" aux marines  à des milliers de kilomètres... sur le front...

Comment tuer le temps? Il y a bien sûr l'entraînement; il y a bien sûr la vie en famille (quand elle existe encore); il y a les fast-food, les bars discothèques; mais surtout les séances chez le tatoueur et le coiffeur. Dans ces salons, la réalisatrice filme au plus près ses personnages (très gros plans sur les nuques, les visages au regard souvent absent, les corps que l'œil de la caméra morcelle donnant à voir ou à lire la calligraphie qui s'imprime sur la peau). Corps robustes momentanément meurtris dans leur chair; mais n'est-ce pas une meurtrissure assumée car elle est désirée?

Killing  time, entre deux fronts

Qu'en est-il de la meurtrissure des esprits? On a l'impression que ces jeunes sont anesthésiés. Mais le trauma de la guerre (que l'on met à distance et qui reste hors champ) affleure ici et là au détour d'une remarque "si jeunes qu’ils n’ont pas encore le droit de boire, mais déjà celui de tuer et de mourir »(la coiffeuse) "quand tu es sur le terrain, tu encaisses, on ne te laisse pas le choix"(un marine dans un fast food). "Pizza, beer and pussy et dans l'ordre c'est ce qui m'a le plus manqué au front". Et de la Bible on choisira de préférence les extraits qui cautionnent la "guerre"

 Et l'on va entasser les objets du quotidien le plus banal (frigo, canapé, lave-linge...) dans l'un de ces nombreux garages,  gardiens provisoires d'un vécu lénifiant (scène en écho -mais inversée- à une des premières du film).

Et si ces jeunes étaient animés, dans cet entre-deux (civil et militaire) par le seul désir de "retourner", pour un face à face avec la mort alors que Twentynine Palms suinte d'ennui?

 

Vers la fin on entend cette voix qui, amplifiée par le haut parleur, martèle

"le soldat (x) basé à Palms âgé de 19 ans est mort en Afghanistan....

Merci pour ces infos...

il fait 30 degrés" 

 Comme si prévalait un principe d'équivalence,

Comme si la mort annoncée obéissait à une logique imperturbable, celle de l'ordre des choses...

Ô la puissance suggestive des non-dits!

 

CLD

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