Film hongrois de Miklos Jancso
avec Jonas Görbe, Tibor Molnar, Zoltan Latinovits, Andra Kosack
La cinémathèque en partenariat avec Clavis Films organise une rétrospective Miklos Jancso qui débutera le 28 octobre (Paris) . Le film "Les sans-espoir" sélectionné au festival de Cannes en 1966, présenté cette année à Cannes Classics, fait partie de cette rétrospective. (En version numérique restaurée, sortie le 11 novembre)
Argument: Dans les années 1860 une poignée d’insurgés tente de relancer les soulèvements de 1848 contre l’Empire Austro-Hongrois. Après une défaite écrasante, les prisonniers sont enfermés dans un fortin où ils doivent attendre une mort certaine...
Une voix off commente -explique en fait- le contexte politique (entre autres, le compromis austro-hongrois de 1867; le rôle des insurgés en 1848 devenus plus ou moins "bandits" et fondus dans la masse paysanne; adulés par les uns, pourchassés par le pouvoir) alors que défilent des dessins stylisés, (extraits d'albums? de livres encyclopédiques ?) C'est le prologue. Et pendant plus d'une heure le spectateur reste comme scotché face à ces splendides plans-séquences que magnifient le noir et blanc (version restaurée) et une savante organisation de l'espace. Chaque plan se prêterait à une analyse filmique....
Voici un fortin où sont entassés les "prisonniers" entravés . Le machiavélisme des représentants de l'armée consiste à sélectionner un ou plusieurs d'entre eux, les "forcer" à avouer (en fait dénoncer Sandor, le chef présumé, en l'identifiant) en échange de leur vie. (Gajdar qui s'était prêté à ce "jeu" morbide sera exécuté par les siens pour avoir trahi...). De toute façon le titre ne laissait aucune lueur d'espoir, et la scène finale d'une violence tragique à l'antique ne fera que le confirmer...Le comte Gédéon Rodday n'avait-il pas juré de les exterminer tous??
Voici des diagonales, des lignes de fuite (est-ce la poszta hongroise ou un immense espace abstrait?); voici des alignements (les femmes et leur pain, les rangées de soldats) voici des courbes (la ronde des hommes prisonniers encagoulés). Des vues en plongée (sur la masse) ou en contre-plongée (portes des cellules où l'on ne peut être qu'accroupi). Le réalisateur fait alterner plans rapprochés sur le fortin (avec jeu des verticales et horizontales) et plans éloignés (vers un horizon frappé d'inanité); plans sur certains visages de soldats et de prisonniers (les "sélectionnés" du jeu macabre).
Une impassibilité d'une froideur souvent glaciale que certains critiques reprochaient d'ailleurs au réalisateur. Ce à quoi on pourrait rétorquer que le choix d'un rituel sacrificiel correspond précisément à l'arbitraire qu'il veut dénoncer en le mettant en scène. Le film se donne à voir effectivement comme une liturgie, avec ses codes, avec sa chorégraphie très élaborée. C'est que Jancso a "constamment transcrit dans les structures esthétiques de son œuvre l'objet de sa méditation : l'homme prisonnier de l'Histoire, aliéné par un pouvoir totalitaire"(Michel Estève). Tortures, scènes d'humiliation (cf la séquence de la femme nue que l'on fouette violemment sous le regard hébété des siens), exécutions sommaires malgré les "promesses", Miklos Jancso ne dénonce-t-il pas "les mécanismes du pouvoir et de la délation" ?
Un film à (re)voir!
Colette Lallement-Duchoze