De Patrick Wang
Avec Wendy Moniz, Trevor St John, Oona Laurence, Jeremy Shinder, Jessica Pimentel
Présenté à la section ACID de Cannes 2015.
"On dirait que personne ne vit sur la même planète" constate désenchantée Jess la demi-soeur. C'est bien là le drame de cette famille où chacun se ment et ment aux autres en se réfugiant dans un imaginaire (celui qui accueille en le sublimant ou le dénaturant le "secret" enfoui??). On dira que la thématique est banale voire éculée; un fils obèse (Paul) qui est la risée de ses camarades à l'école; une petite fille (Biscuit) qui fugue; un mari (John) autoritaire, jaloux ou du moins suspicieux ; une femme (Ricky) qui délibérément a caché les risques d'une grossesse...; et une fille d'un premier mariage (Jessica) qui débarque...enceinte, de surcroît...
Mais il y a cette façon de filmer, ingénieuse souvent, hardie et déroutante parfois! Non seulement parce que le réalisateur a recours aux ellipses et qu'il brise la linéarité narrative par des flash back; (et l'on découvrira progressivement, par bribes, la personnalité de chacun) ; non seulement parce qu'il entraîne le spectateur sur de "fausses" pistes en mêlant réel fiction et fantasme; présent et passé; mais aussi parce qu'il "ose" certains plans et cadrages. Deux exemples parmi d'autres, emblématiques de cette audace formelle. Sur fond rouge délavé se penchent deux visages féminins d'abord souriants puis grimaçants c'est ce qu'est censé "voir" le nourrisson qui vient de mourir et ce plan qui sert de générique reviendra au moins deux fois à des moments "cruciaux" (les aveux..). Dans le dernier plan séquence, aux images de la cuisine que vient de quitter la famille, se substitue celle d'un parc où avancent les mêmes personnages pour rendre un ultime hommage au bébé; on a l'impression qu'ils évoluent -simultanément- dans deux univers...ou que ces deux univers n'en forment plus qu'un (métaphore d'une réconciliation??). On peut ajouter certaines astuces: rendre compte d'un embouteillage sur une autoroute uniquement par le visage de la femme en gros plan dans le rétroviseur; un off (bruitages ou paroles susurrées) qui recouvre l'essentiel (lequel appartenait au non-dit) ou une bande-son d'une scène mais avec des images d’une autre séquence.!!!
On pourra certes reprocher une volonté explicative trop manifeste dans les scènes de discussions où les personnages donnent l'impression de réciter un texte comme sur une scène de théâtre; on pourra toujours "contester" l'idéologie qui sous-tend cette narration: «Il y a de la souffrance dans ce film, mais j’ai tenté de faire en sorte qu’elle mérite d’être vécue.» Il n'empêche! Ce réalisateur américain d'origine taïwanaise incarne un cinéma indépendant américain qui ne peut que séduire les cinéphiles!!!
Colette Lallement-Duchoze
PS info complémentaire "le film à été tourné dans un Super 16 délavé par le chef opérateur Frank Barrera, et ce, sans retour sur moniteur, c’est-à-dire quasiment à l’aveuglette et sans informer les comédiens du cadre, que ceux-ci traversent et débordent allègrement...."