De Alberto Rodriguez
Avec Raul Arevalo, Javier Gutteriez, A de la Torre
Récompensé par 10 Goya (équivalent de nos César)
Voici un polar dont la maîtrise formelle est indéniable et qui, tout en empruntant les codes spécifiques du genre, véhicule (en filigrane ou de façon plus patente) une réflexion politique. La présence de deux flics "que tout oppose" (dit le résumé) n'est pas traitée de façon manichéenne. Certes Juan le plus âgé a fait partie de la milice franquiste, et Pedro a été formé aux "valeurs de la nouvelle démocratie" (la fameuse période de "transition", nous sommes en 1980); mais leurs portraits sont plus subtils car plus nuancés. Et le fait de "pactiser" pour lutter ensemble contre le crime, ne revient-il pas à poser la question "le compromis serait-il la solution?" le réalisateur semble en douter...
Dès le prologue, les vues aériennes sur la vallée du Guadalquivir avec ses méandres, son labyrinthe végétal en forme de circonvolutions, permettent à Alberto Rodriguez d'établir des analogies entre tissu géographique et complexité humaine. Dans cette région de l'Andalousie, encore imprégnée de l'image de Franco (voir à un moment, de gros plans sur des slogans pro franquistes..) sévissent corruption et collusion avec les autorités locales (qui se soucient plus des manifestations de grévistes que des trafics en tout genre; le pouvoir des propriétaires terriens triomphe toujours...). Le monstre du passé est là, tapi sous la fange... L'omerta est de rigueur (la tenancière du pavillon de chasse n'a-t-elle pas été payée pour se taire?). Dans cette région de marécages où l'on se perd, non seulement l'enquête sur les meurtres de jeunes filles risque de s'enliser (malgré le rythme étourdissant des rebondissements) mais on risque aussi d'y "perdre son âme"...Une "voyante" qui écaille, évide des poissons saura le rappeler. Le vol d'oies sauvages, la matérialisation en rouge vif de cauchemars, transportent le polar aux confins de l'irréel, du fantastique!
Des séquences à valeur d'anthologie: course poursuite le long des canaux dans la poussière qui aveugle, course dans la boue sous une pluie torrentielle, une musique signée Julio de la Rosa qui de bout en bout envoûte, sans être purement illustrative; tout dans ce polar est fascinant!
Colette Lallement-Duchoze
PS Inutile de comparer ce film avec la série "true detective" Pure coïncidence"J’étais en montage quand ils ont commencé à diffuser, je ne connaissais donc pas cette série" avoue le réalisateur....