De Roy Andersson (Suède)
Avec Holger Anfersson (Jonathan), Nils Westblom (Sam) Charlotta Larsson (Lotta la boiteuse) Viktor Gyllenberg (le roi Charles XII) Lotti Törnros (le professeur de flamenco) Jonas Gerholm (le colonel solitaire) Ola Stensson (le capitaine/barbier) Roger Olsen Likvern (le gardien)
Musique: traditionnelle
Lion d'Or festival de Venise 2014
Voici le troisième volet de "la trilogie des vivants"; 39 tableaux, 39 plans-séquences et cette façon de filmer si caractéristique de ce cinéaste suédois: caméra et plans fixes, importance des premiers et arrière-plans (quelque chose se joue ou se noue dans la profondeur de champ) choix de personnages en déshérence -pantins mutilés par la vie-, choix de couleurs ternes délavées, mélange de réalisme et d'onirisme. Mais si dans "Chansons du deuxième étage" (découvert à Rouen grâce au festival du cinéma nordique 2000/2001) les emprunts à Otto Dix et le thème de la culpabilité collective dominaient, ici "tout serait onirique mais sans explication" . Et de fait nous pouvons voir un homme brusquement s'effondrer alors qu'il tentait d'ouvrir une bouteille de vin, une patronne de bar (Lotta la boiteuse) offrir une coupe en échange de baisers, mais aussi le roi Charles XII demander dans un bar où sont les toilettes, les veuves éplorées suite à la bataille de Patlova (ah ce fourbe de Russe!) et surtout vers la fin un énorme cylindre en cuivre mis au point par les colonialistes pour broyer des esclaves...
Le cinéaste alterne scènes d'intérieur (appartement, bar, salle de gym, couloir et chambre d'un asile, etc.) et extérieurs (des décors bien évidemment avec des fenêtres aux improbables reflets et cette ambiance de désolation!). Sam et Jonathan à la mine terreuse et triste sont vendeurs de "farces et attrapes" (dents de vampire, masques et coussins péteurs) et ce duo sert de fil conducteur à la thématique de la joie de vivre (lebenslust) même si leur sort est peu enviable (hébergement dans un asile de nuit à l'atmosphère sordide, glauque). Mais au-delà du décalage entre leur fonction et leur apparence, ils rappellent le couple Laurel et Hardy dans la relation dominant dominé....Et Roy Andersson qui déteste l'humiliation est toujours parti en guerre contre cette forme d'aliénation qu'il a dénoncée dans des séquences mémorables et inimitables depuis "Chansons du deuxième étage"
Ainsi la joie de vivre c'est la panoplie des deux vendeurs (à plusieurs reprises on entendra des personnages dire au téléphone "je suis content(e) de savoir que vous allez bien" même si...) Roy Andersson, lui, a cherché à créer une tension entre le comique et le tragique, entre le banal et l'essentiel" Pari réussi!
En tout cas, on devine son bonheur de filmer dans le sillage de ce tandem -et surtout dans la veine des peintres Otto Dix, Georg Scholz - et de signer ainsi une oeuvre/fable où dominent "humour et horreur" ; n'en déplaise à tous ses contempteurs, et ils sont nombreux !
Colette Lallement-Duchoze