Documentaire réalisé par Emmanuel Gras et Aline Dalbis
"J’étais sans abri et vous m’avez recueilli" -cette inscription figure sous la fresque du foyer Saint-Jean-de-Dieu, centre d'hébergement de nuit, à Forbin, Marseille.
300 hommes c'est la capacité d'accueil de ce centre. 300, pas un de plus; à un moment le gardien de nuit refusera -au nom de la sécurité- l'accès à un homme (le 301) en quête de chaleur...
Emmanuel Gras et Aline Dalbis nous immergent dans ce lieu : depuis la réception (au guichet), jusqu'aux dortoirs en passant par la cour (où avant de se coucher certains fument leur dernière clope) avec intrusion dans la chapelle (lieu de la prière et du recueillement pour les Frères ).
Ce travail d'immersion est celui de deux "humains" parmi des "humains hébergés". Ni empathie, ni distance critique. Les hommes ne sont pas filmés face à la caméra mais en train de discuter entre eux, ou avec un(e) responsable; et si un plan en isole un, c'est pour le montrer comme figé dans sa tourmente intérieure. Certains plans (plongée ou contre plongée ou plans d'ensemble) semblent décomposer l'ossature de ce centre -murs et fenêtres; salles, escaliers- quand l'homme est hors champ.... (et pourtant si "présent")
Si la charité est de rigueur, elle a forcément ses limites (des gardiens peuvent houspiller, rudoyer, menacer). Car la violence est quasi omniprésente (gestes paroles); une violence souvent due à l'alcool, violence qui se nourrit de la misère; les disputes éclatent et les tensions sont bien réelles.
Toutes les générations sont confondues: un jeune de 20, 22 ans rêve de se procurer un appartement qui abriterait le "couple" à venir...; un trentenaire est persuadé qu'il sera conseiller de personnalités politiques; un homme plus âgé, alcoolique notoire, est convaincu qu'il sera le "seul survivant". Ainsi, certains "hébergés" sont comme des "morts-vivants" quand d'autres refusent ce statut, conscients que leur décrépitude est "passagère, mais tous -à leur façon- semblent revendiquer leur part d'humanité tapie, au profond, malgré tous les malgré... .
Ce qui frappe au final (et nous émeut tout autant) c'est le ressassement, celui d'un parcours de "survie" toujours toujours recommencé; et surtout cette façon de filmer qui bannit les pièges d'un documentaire par trop "voyeur"
Colette Lallement-Duchoze